Je vous présentais, la semaine dernière, les aventures du veilleur de nuit du beffroi de Mons:
http://jmomusique.skynetblogs.be/archive/2011/03/19/le-couplet-du-veilleur.html
Un ami, lecteur attentif du blog, me faisait remarquer le côté insolite de la chanson du veilleurs que je présentais, illustration à la clé. Non seulement le choix bien étrange d’une chanson nommée Couplet, tirée, avec un texte nouveau, de l’air de Fanchon la vielleuse. Remarquons de prime abord l’étrange proximité entre le veilleur (ne dormant pas) et la vielleuse (jouant de la vielle) avant de constater que l’illustration d’époque, comporte une étrange faute d’orthographe faisant fusionner les deux mots: « Air de Fanchon la VIEILLEUSE » ! Intrigué, j’ai décidé de faire quelques recherches sur ce que pouvait bien être cet air qui, même avec des paroles nouvelles, devait trouver une résonance certaine chez les montois aux touts débuts du XIXème siècle.
Fanchon, d’abord. Aucune biographie ne cite l’origine exacte de celle qu’on nomme la petite savoyarde (à cette époque, tous les enfants ou adolescents qui arrivent de leurs montagnes sont des « petits savoyards »!). Le « Tout Paris » de Louis XV a tissé une véritable légende autour de Françoise CHEMIN, dite « Fanchon la vielleuse », coiffée de son mouchoir noué sous le menton (mode aujourd’hui encore appelée une « Fanchon »), dans ses habits traditionnels, et parlant son dialecte.
« La vraie Fanchon, celle dont se préoccupent les mémoires du temps et que les burins reproduisent, dont l’apparition est constatée par Dulaure et Bachaumont, celle qui figure dans la jolie gravure de Saint-Aubin : les Remparts de Paris, l’alerte jeune fille qui donne son nom à la gracieuse façon de porter le mouchoir noué sous le menton, qui module la plaintive romance : « Aux montagnes de la Savoie, je naquis de pauvres parents… » débute dans la carrière en chantant aux barrières de Paris; elle fréquente les cabarets et fait danser le peuple et les courtauds de boutique.
Le dimanche, on la trouve aux remparts ; elle va de table en table et fait la ronde en tendant la main ; des remparts, elle descend aux boulevards, elle monte aux Maisons d’Or de l’époque, et, de là, reconduite par le premier financier venu, dans un élégant vis-à-vis, elle échoue dans un boudoir capitonné et sa vertu passe de vie à trépas sur un bonheur du jour. C’est, me direz-vous, l’histoire de toutes les gotons du dix-huitième siècle. Mais attendez la fin. Vous croyez que Fanchon devient un peu marquise et oublie sa vielle ; loin de là, et c’est ce qui fait d’elle un type ; elle se frotte aux élégants, il n’y a plus de bonne fête sans elle, mais sa chanson est de la partie. Au lieu d’une robe de bure, elle porte des étoffes Pompadour, elle coud un Chantilly à sa basquine ; elle remplace, par un large ruban de soie bleue (ce même ruban qu’un historien du temps assure être un cordon du Saint-Esprit, donné à la fin d’un souper par un prince en goguette), la bride de cuir qui retient sa vielle, et la voilà devenue vielleuse de Watteau, et digne de figurer dans les fêtes galantes.
La grande mode, après un souper fin, est de faire monter Fanchon et de lui demander des couplets, et quels couplets ! Nous voilà bien loin de la Savoie et de l’innocence de la fille des montagnes. La jeune Fanchon ne se fait pas prier, elle trempe ses lèvres dans le champagne et entonne gaiement. Elle devient indispensable : Nous aurons Fanchon se disait à cette époque, comme : Nous aurons Lambert, sous le règne illustre de la perruque » (Fanchon la vielleuse, d’après les célébrités de la rue, paru à Paris en 1878).
Son histoire a inspiré de nombreux vaudevilles et des comédies. La vielleuse du boulevard, trois actes de Chaussier (1802), Fanchon de retour dans ses montagnes deAude et Servières, un ballet, Les trois Fanchon, de Bosset et Joie (1803), Fanchon la vielleuse à Lyon de Dupaty (1811), La Fille de Fanchon la vielleuse de L. Varney, … Mais le plus connu, et sans doute le plus populaire est « Fanchon la vielleuse » (1800), vaudeville en trois actes sur un livret de Jean-Nicolas Bouilly (il a composé des livrets d’opéras pour Grétry, Cherubini et Méhul, il est également l’auteur du drame Léonore ou l’amour conjugal à l’origine du Fidelio de Beethoven) et de Joseph-Marie Pain avec des musiques de Joseph-Denis Doche.
Vous pourrez lire le texte complet du vaudeville de Fanchon la vielleuse en cliquant ici:
http://www.archive.org/stream/fanchonlavielle00boui#page/n1/mode/2up
Joseph-Denis Doche (1766 – 1825) est un maître de chapelle, chef d’orchestre et compositeur de musique français. Il est surtout connu pour avoir publié en 1822 « La musette du vaudeville », un recueil comprenant 428 airs de sa composition écrits pour le vaudeville (Le Théâtre du Vaudeville est une salle de spectacle parisienne, aujourd’hui disparue, dont l’emplacement a varié au fil des siècles). Ces airs très populaires lancés au théâtre étaient fréquemment utilisés pour les chansons des goguettes. Son style, appris à Paris après la Révolution française est très inspiré par Grétry. En 1794 il entre à l’orchestre du Théâtre du Vaudeville. Il y est nommé chef en 1810 où il adapte les partitions des spectacles. Il se fait donc connaître et apprécier par les très nombreux airs et morceaux détachés qu’il compose pour le Théâtre du Vaudeville : on en compte plus de 500 parmi lesquels on cite une grande partie de la musique de Fanchon la vielleuse. En 1822 l’administration du Théâtre des Variétés, grand concurrent du Théâtre du Vaudeville, s’empare d’airs contenus dans le recueil, les applique à des paroles et les fait chanter par ses acteurs sans en avoir acquis le droit et sans le consentement de l’auteur. Doche intente un procès et le gagne. Outre son activité au Théâtre du Vaudeville Doche fait représenter quelques opéras comiques aux théâtres secondaires, entre autres Point de bruit, en 1804, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin. Il écrit également quelques messes pour grand orchestre pour la fête de Sainte Cécile, notamment une donnée à Paris à l’église Saint-Eustache en 1809. Deux chansons wallonnes très connues en Wallonie dialectale se chantent encore aujourd’hui sur un air de Joseph-Denis Doche : Lolote de Jacques Bertrand et Li pantalon trawé de Charles du Vivier de Streel. L’air est également repris de nos jours, à partir de Lolote, par les étudiants belges pour des chansons paillardes des étudiants de la Faculté des Sciences Agronomiques de Gembloux.
Alors, quel est le rapport entre Fanchon et Mons? Dans l’état actuel de mes connaissances, je n’en sais pas beaucoup plus, hélas! Il faut pourtant encore savoir que le personnage très populaire de Fanchon a suscité de nombreuses chansons françaises sous l’Empire, au début du XIXème siècle. Ainsi, une chanson militaire ou une chanson paillarde chantée aussi par les militaires est encore très célèbre aujourd’hui. Elle est devenue l’une des chansons du répertoire des étudiants de la faculté de médecine de l’Université de.. Mons…! Tiens donc! La voici:
Manifestement le personnage de la vielleuse a beaucoup plu dans le Hainaut. Et si la Fanchon que vous venez d’entendre n’est ni celle de Bouilly et Pain, ni celle de notre gardien du beffroi de Mons, nul doute que le vaudeville avait traversé les frontières en cette époque où les français dominaient toute la région. Il est fort probable que la pièce ait été jouée à Mons avant même l’inauguration du Théâtre royal en 1843. Écouter un air de Fanchon la vielleuse à la vielle à roue:
http://www.greatsong.net/player_extraits.php?id=109080056&b=109080056
D’ailleurs, le prénom Fanchon serait le diminutif de Françoise. On le retrouve dans de nombreux chansonniers du XVIIIème siècle et les jeunes femmes qu’il désigne (mais ce sont parfois des garçons!) ne sont pas des vielleuses du tout. Fanchon serait alors tout simplement devenu un synonyme de fille légère…