Baroque?

Préparant une conférence sur la correspondance des arts à l’époque baroque, j’actualisais quelques réflexions d’ordre esthétique et philosophique sur l’art et la musique. Le mot baroque, d’abord qui, péjoratif, désigne en portugais une perle irrégulière, sans valeur. L’art baroque semble mettre en valeur son irrégularité, son aspect étrange curieux. C’est dire que cette étiquette qui, pour nous aider dans la ligne du temps, regroupe quelques 150 ans d’histoire (vers 1600 jusqu’à 1750), est tardive et relève des esthéticiens et des historiens d’art. Qui plus est, sur un siècle et demi, la pensée des hommes s’est profondément métamorphosée et les sensibilités varient d’une contrée à l’autre. Si nous prenons comme modèle l’art italien, c’est qu’il fut, en effet, à l’origine d’un renouveau de la pensée. Mais cette nouvelle force expressive se retrouve dans les pays germaniques, catholiques ou luthériens, d’ailleurs, dans nos régions ainsi qu’en France où l’on rechigne à employer la terminologie du baroque.

 

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Une perle « baroque »


Mais il ne faut jamais perdre de vue que toute pensée baroque est d’abord religieuse. La Contre-réforme et son besoin de replacer Dieu au centre des aspirations spirituelles des hommes a utilisé l’art d’une façon magistrale. Il fallait montrer la puissance divine dans des édifices massifs et écrasants. Il était également utile de « moraliser », de faire passer un message évangélique qui allait utiliser une rhétorique forte et simple. L’architecture des jésuites, si typique du premier baroque était conçue pour dévoiler ce message. Les soubassements sobres et solides marquent un ancrage bien visible dans le sol, symbolique de la terre et de l’humanité. Au fur et à mesure que la façade s’élève, elle semble s’alléger en différentes « strates » horizontales. Plus on monte, plus elle s’ornemente et plus elle semble se dématérialiser dans…le ciel. Cette symbolique de l’envol de la terre vers le ciel est encore renforcée par les lignes verticales qui nous transportent vers les hauteurs. Le véhicule de cette ascension n’est rien d’autre que la conjonction entre verticalité et horizontalité, c’est à dire la Croix. Le message chrétien est efficace.

 

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L’ancienne Église de l’Immaculée Conception en Hors-Château à Liège (XVIIème siècle)


Ce grand mouvement ascendant est aussi la preuve que l’art baroque, avant d’être l’art de l’ornement, est avant tout celui du geste. Il vise à fixer pour l’éternité un instant mais doit laisser supposer ce qui le précède et ce qui le suit. L’ornementation est alors d’un grand secours et en est non la cause mais le résultat. N’oublions pas l’origine du mot qui désigne une perle irrégulière. Le mouvement est donc toujours présent dans l’esthétique de cette époque. Nous le voyons par exemple aisément dans « Apollon et Daphné » du Bernin. La métamorphose de Daphné est saisissante. Elle est toujours femme, mais on la sent déjà devenir arbre.

 

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Le Bernin, Apollon et Daphné


La recherche du mouvement nous conduit à une conséquence majeure du style baroque. La couleur se substitue au trait et au dessin. La symbolique des couleurs joue alors une fonction magistrale. Elle devient expression à part entière et semble déborder du dessin. Surgissent alors les notions de clair-obscur, d’éclairages et de structures. Car comme à chaque époque, l’art est une activité humaine qui au-delà d’une esthétique illustre le reflet de la pensée et de la conception du monde de l’artiste.

En ce sens, l’époque baroque voit de sérieux progrès dans des matières comme les mathématiques et l’astronomie. Le modèle héliocentrique se généralise et Kepler découvre le mouvement elliptique des planètes. Les artistes appliquent ces principes au profit d’une symbolique rhétorique.

 

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P-P. Rubens, La descente de Croix (Anvers, Cathédrale)


Observons un instant le Christ mort que l’on descend de la croix. C’est un cadavre, mais, à l’image du soleil, c’est lui qui éclaire la scène. Le Dieu de lumière est entouré des comparses qui se disposent autour de leur soleil comme autant de planètes en un mouvement elliptique remarquable. Tout, la construction, les gestes, les couleurs et la symbolique cosmologique déploie le message de l’artiste.

La musique est art du temps. Cependant, elle semble obéir aux mêmes lois esthétiques. La basse continue, caractéristique du baroque, en est la solide fondation. Les autres voix et instruments sont autant de couches qui s’allègent et s’ornementent pour atteindre le ciel. Le geste est par essence présent dans la musique mais est encore accentué à cette époque par la virtuosité en plein essor dans le « stylus phantasticus » (Biber par exemple). Quant à la couleur, elle se traduit par une orchestration de plus en plus riche. Le choix des instruments devient primordial et la fusion des timbres engendre la couleur. La rhétorique n’est pas en reste dans la musique. Le choix des tonalités, des mouvements de la mélodie et des motifs signifiants sont l’objet de savants traités. Vous pouvez écouter tout cela dans tous les domaines de la musique de Monteverdi à Bach. Alors, tendez l’oreille et entrez dans le monde merveilleux de la musique baroque…!