Ce mercredi, je donnerai une conférence pour la Société Dante Alighieri à l’Ulg (voir agenda d’Avril) consacrée au Requiem de Giuseppe Verdi (1874). L’œuvre a souvent posé des problèmes aux musicologues qui conçoivent mal qu’un homme habité par des idéaux purement laïcs présente l’un de ses plus grands chefs d’œuvre dans le domaine de la musique religieuse.
Le grand chef d’orchestre Hans von Büllow nommait le Requiem : « Un opéra en habits ecclésiastiques ». Il voulait indiquer que l’œuvre se présentait dans le style des grands opéras du maître et que de nombreux passages pourraient être intercalés aisément dans le déroulement d’un drame théâtral.
Sans doute n’avait-il pas tout à fait tort. Cependant nous pourrions aussi nous interroger sur le Dies Irae du Requiem de Mozart qui est si proche de la fin de Don Giovanni. Nous pourrions aussi remarquer que l’opéra italien transparaît de manière incessante dans le Messie de Haendel et que le Stabat Mater de Poulenc n’est pas différent, dans son écriture, de sa musique profane. On pourrait multiplier les exemples à l’infini…
Il est bien plus utile de décrire le style d’un compositeur et d’admettre que ce dernier l’accompagne dans toutes ses aventures compositionnelles. Ce qui ne dérange pas chez Mozart, provoque des commentaires dévalorisants pour Verdi.
Il est utile de revoir la situation italienne du dernier quart du XIXème siècle pour se rendre compte qu’une forme virulente de critique face à l’Eglise et aux dogmes fondamentaux est intrinsèquement liée à la situation politique. Pas seulement cependant. La philosophie de cette fin de siècle proclame que « Dieu est mort », que la Foi religieuse est un leurre pour l’homme simple, que l’homme moderne a besoin d’une conscience politique plus élaborée et qu’il doit conduire à la création d’un état laïc, seul gage d’une indépendance constructive.
Cela a donné plusieurs générations d’anticléricaux considérés à tort avec nos critères contemporains. La situation de Verdi est plus complexe et rappelle sous de nombreux aspects les célèbres querelles entre Don Camillo et Peppone.
Ne l’oublions pas, Verdi est un campagnard qui, toute sa vie durant, n’aura de cesse de vivre comme un homme de Busseto. Il représente un Peppone, certes plus cultivé, qui reproche tout à l’Eglise mais qui ne concevrait jamais vie sans sa présence. S’il rechigne à entrer dans une église, c’est plus une critique face aux dogmes qu’une remise en question des fondements religieux de son éducation. La célèbre phrase de Boïto (qui sera son librettiste après 1880) à propos du vieux verdi a jeté le trouble chez les musicologues : « Tôt il avait perdu la foi, comme nous tous. Plus que d’autres, il en avait gardé le regret ». Le raccourci est vite fait. La dénomination d’agnostique fut définitivement accolée à l’homme.
Busseto et la statue de Verdi
Ce qui me semble plus utile pour la compréhension du Requiem réside dans l’usage qu’il fait de l’autorité religieuse au sein de ses opéras. Les quelques cas du Grand Prêtre dans Nabucco au début de sa carrière et du Grand Inquisiteur dans Don Carlo bien plus tard sont révélateurs d’un rejet émotionnel et viscéral de l’autorité excessive des représentants des « églises ». Il traduit aussi le refus de
l’autorité paternelle dont il a beaucoup souffert dans sa jeunesse. Comme Mozart face à son père et Don Giovanni face au Commandeur, c’est plus une loi oppressante et liberticide qu’il semble dénoncer, pas la pensée spirituelle elle-même. Ceci explique en partie la fin de la citation de Boïto : « …il en avait gardé le regret ».
Mais un requiem a beau être un texte sacré (c’est d’ailleurs le seul livret que Verdi ne modifiera pas), il est aussi et surtout une réflexion sur la mort. Pas étonnant alors que certaines scènes puissent créer l’effroi (Dies Irae), que d’autres soient méditatives et recueillies (Requiem Aeternam), d’une tristesse affligeante (Lacrymosa) ou encore implorantes (Libera me) ! D’ailleurs, les images qu’elles génèrent ne sont pas éloignées du tout du grand opéra tragique romantique. Combien de scènes atroces, de larmes, d’implorations et de prières parcourent les opéras de Verdi. Pensez au superbe Ave Maria chanté par Desdémone à la fin d’Otello !
Le style religieux de Verdi n’est pas différent de celui de l’opéra mais il n’est pas moins sincère. Il témoigne des interrogations existentielles d’un homme qui sous le coup de la mort d’un proche, Alessandro Manzoni, décide de laisser parler son cœur. En ce sens, le texte latin du Requiem lui offre toutes les possibilités expressives et lui permet, au-delà d’une confession particulière, de nous faire part de sa vision du monde.
Bonjour,
Merci pour votre message. Malheureusement, je n’ai encore jamais fait d’analyse du Stabat mater de Verdi qui est l’une des pièces maîtresses des Quattro pezzi sacri… peut-être le ferai-je un jour car cette musique est vraiment exceptionnelle.
Amitiés musicales.
Je suis béotienne en musique et complètement fascinée par l’analyse musicologique et les vôtres évidemment aussi , nous chantons le Stabat Mater de Verdi , en auriez-vous fait l’analyse quelque part , comme celle passionnante de l’Ave Maria ?
Merci ! Amitiés musicales !
Catherine Devaux
la conférence sur le requiem de Verdi était commme bien d’autres, comme toutes, fort intéressantes, mais elle était en plus pleine d’un souci d’infinie nuance. On en ressortait convaincu que Verdi n’était pas du tout l’homme tout d’une pièce comme on le croit souvent. Merci infiniment d’une telle propagande pour la nuance