Quel plaisir toujours renouvelé que de donner une conférence dans la prestigieuse Salle Académique de l’Université de Liège. Je me souviens chaque fois des concerts et exposés divers auxquels j’assistais quand j’étais étudiant. Je ne me serais jamais imaginé qu’un jour ce serait mon tour d’y parler et de faire résonner de musique cet impressionnant endroit. La salle a beaucoup changé. Elle fut rénovée complètement il y a quelques années. La terrible chaire a disparu. Elle séparait l’orateur de son auditoire, jetant de la sorte une frontière infranchissable entre celui qui sait, placé en hauteur et inaccessible, et les modestes auditeurs dont je faisais partie. La salle est aujourd’hui non seulement plus conviviale, le contact essentiel avec le public est rétabli, mais est aussi magnifiquement munie d’un équipement multimédia moderne.
Salle Académique ULg
C’était donc l’occasion d’utiliser les ressources modernes de la projection par ordinateur et de la diffusion musicale par iPod pour tenter de faire un parallèle entre l’art baroque au sens large et le Messie de Haendel. L’œuvre monumentale sera, en effet, au programme du concert du Chœur Universitaire de Liège dirigé par Patrick Wilwerth le 26 avril prochain à l’Eglise Saint Jacques (plus d’informations sur http://users.skynet.be/tempus-wilwerth/ et le blog de Benoît Hons http://benoithons.skynetblogs.be/).
Les trois grands compositeurs nés en 1685 (J-S. Bach, G-F. Haendel et D. Scarlatti) ont, chacun à sa manière, opéré une synthèse de l’art baroque et annoncé la nouvelle ère musicale qui allait amener le classicisme. Leur destin, radicalement opposé, ont cependant en commun la réalisation de fresques religieuses importantes. Il est cependant paradoxal que la réputation de Haendel se fonde, aujourd’hui encore, sur les grands oratorios, le Messie en tête, alors que sa production d’opéras est immense et cruciale dans le développement du genre.
Si Haendel semblait destiné à vivre en maître de chapelle comme beaucoup de ses contemporains, sa découverte du monde de la scène à Hambourg en 1705 va changer radicalement son optique musicale. Après le voyage en Italie, il maîtrise les techniques du Bel Canto et se lance à la conquête de…Londres. L’Angleterre souffrait d’un manque flagrant de compositeurs importants depuis Purcell mais le pays était sans doute l’un des plus actifs en matière de concerts et d’opéras. Plus tard, Haydn y trouvera également le succès et le bonheur. La carrière de Haendel est fulgurante. Surfant sur la vague du succès, il devient l’un des personnages les plus en vue de Londres, obtient le poste envié de directeur de la prestigieuse Royal Academy of Music et est courtisé par les castrats qui désirent participer à ses créations.
Maison de Haendel à Londres
Dans les années 1739-40, s’installe une certaine lassitude de son public et une inspiration mois fructueuse dans son art. Pourtant, bientôt, il reçoit de Charles Jennens un livret d’oratorio tiré des textes bibliques des prophètes, de l’Evangile de Saint Luc et des Lettres de Saint Paul annonçant l’arrivée du Messie, le mystère de sa naissance, sa mort, sa résurrection ainsi qu’une méditation sur la rédemption. En vingt jours, Haendel écrit l’œuvre qui lui apportera la postérité renouant avec une inspiration formidable. L’œuvre sera jouée à Dublin avec un succès immense devant 700 personnes. Pour gagner de la place dans la salle, le port de la robe à panier pour les femmes et l’épée pour les hommes furent interdits… !
Haendel dirigeant le Messie à Londres
Depuis ce premier (?) concert humanitaire, le succès de l’œuvre ne s’est pas démenti. Le célèbre « Alléluia » fait désormais partie du Top Ten de la musique classique. On peut pourtant se demander les raisons d’une telle postérité. En effet, l’œuvre ne comport
e pas d’action au vrai sens du terme. Il n’y a pas de personnage puisque tous les textes annoncent et commentent de l’extérieur les fondements de la foi chrétienne. Même le Christ n’est pas présent. Il est cependant l’objet de toutes les attentions et les méditations. Mais voilà, malgré cette absence d’action, le livret est d’une rare cohérence et propose au compositeur toutes les ressources de l’écriture ancienne et moderne.
Divisé en trois parties, l’oratorio médite d’abord sur l’annonce de la venue du sauveur et son incarnation. Une grande ouverture sert de portique d’entrée. Suivent alors des séquences qui alternent récitatifs, airs de solistes et chœurs dans une progression dramatique intense. Haendel parvient à combiner le style de l’opéra italien, virtuose et ornementé avec des chœurs simples, facilement mémorisables. Parfois, il démontre sa perfection technique par des fugues à vous donner le vertige. Il intègre au centre de cette première partie les épisodes de Noël avec le superbe chœur (For Unto Us A Child is Born) qui précède la pastorale (Pifa) orchestrale sommet de cet épisode. Comme dans les arts baroques, tout semble en mouvement. Les techniques du geste, le clair obscur (la lumière semble sortir du sujet lui-même) et l’architecture sonore y contribuent largement.
Manuscrit autographe de Haendel
La deuxième partie est beaucoup plus sombre et semble se rapprocher des Passions luthériennes de Bach. Récitatifs non accompagnés (secs), chœurs agités ou douloureux, airs de grande émotion dans laquelle la virtuosité est au service d’une rhétorique du mot et de l’angoisse évoquent, sans le vouloir, la fameuse Descente de Croix de Rubens. La fin de l’épisode transforme la douleur en gloire par le Christ triomphant de la résurrection. La dernière section, plus courte, est une méditation sur la rédemption. La musique se fait tantôt impalpable, tantôt joyeuse. C’est ici que se dévoile le message ultime du Messie et de sa venue sur cette terre. Faisant écho à l’ouverture et à l’Alléluia qui clôt la deuxième partie, un Amen extraordinaire de contrepoint et de rhétorique positive referme ces deux heures de musique exceptionnelle. Le succès réside, je crois, dans la synthèse de l’art baroque que réalise ici Haendel en usant de toutes les techniques musicales mises à sa disposition. Pourtant, ce n’est pas le seul motif de son succès. Le Messie dépasse les époques car il met non seulement en œuvre les fondements de la morale chrétienne encore largement en vigueur aujourd’hui, mais aussi la sincérité d’un homme qui retrouve là une inspiration sans doute plus fondamentale que dans l’opéra. Laissons conclure le compositeur qui disait que les textes de la Bible étaient pour lui les mots de tous les jours qu’il prononce avec aisance. Il eut, dit-il « l’impression de voir tout le Ciel ouvert devant lui, et le Dieu Tout-puissant lui-même ». Pourquoi le contredire ?
Bonjour,
La pifa est l’instrument des bergers, plus précisément le chalumeau des pâtres italiens. Sa musique est reconnaissable par ses notes tenues et son balancement ternaire. C’est parce que l’auteur du livret du Messie, Charles Jennens, a choisi l’épisode des bergers (Saint Luc) pour évoquer la Nativité. Haendel a donc, tout naturellement choisi une musique évoquant les bergers, souple, simple et, d’ailleurs, assez proche de Corelli.
Juste une question, quelle est la signification de Pifa pour nommer la pastorale dans le Messie. Merci de me répondre. Noël
ayant été étudiant à liège il y a 25 ans et ayant quitté la cité ardente il y a 15, j’ai parfois assisté aux prestations de la chorale universitaire, je n’ai pas le souvenire de soixantenaires à l’époque…
certes, je me souviens d’une messe en si plus romantisée que baroqueuse -du temps de Mr Schoonbroodt…
sans doute y a t il d’autres critères pour interpréter cette musique (en 1985 comma aujourd’hui…)
un jour peut être Harnoncourt herreweghe et autres jacobs seront regardés comme des académistes un peu barbons…
l’interprétation contrairemn au texte musical…varie dans le temps
Boulez met 10 minutes de plus (sur 60!) dans pli selon pli a vingt ans d’écart…
l’authencité dit harnoncourt n’existe pas…
restons donc modeste et poli, même vis à vis de tentatives très « amateurs » qui n’en demeurent pas moins sympathques à défaut d’être « toujours » musicales
Tu devrais effectivement virer ce message stupide et peu courageux… Cela arrive sur les blogs (pas trop souvent heureusement). J’ai pris le parti d’activer la fonction de modération, pour m’éviter des souillures inutiles. Si l’action se répète, tu ne devrais pas avoir de scrupules à faire pareil… Alleluia!
Les commentaires déplacés et insultants ne font pas partie de ma manière de concevoir ce blog et la démocratie au sens large. Je supprimerais volontiers ce message « anonyme » bien sur. Il ne faut pas assumer de tels propos, mais je le laisse afin que chacun puisse voir le type de commentaire que je ne veux plus. La musique appartient à tous. Vous ne pouvez, sous prétexte de je ne sais quoi,démolir le travail passionné de qui que ce soit. Je respecte autant les amateurs, depuis les enfants qui jouent gauchement dans les auditions de classe que les orchestres et artistes professionnels. J’espère ne plus avoir a lire de tels messages de haine.
pardon « anonymous » je ne vous trouve pas très courageux de balancer un tel commentaire méprisant pour ceux qui font partie de cet ensemble. Pourquoi refuser à des amateurs le plaisir de monter annuellement un grand projet comme « Le Messie »? Je suis bien placé pour dire que la pratique de la musique est ouverte à tous, et que les ensembles professionnels n’ont pas le monopole de la production de concerts.
Je trouve étonnant que vous fassiez de la publicité de la Chorale universitaire, composée de choristes bientôt octogénaires, dirigée par un chef qui a autant idée de ce qu’est la musique baroque que George Bush a connaissance d’Erasme et de Descartes. Vous devriez au contraire nous en décourager.