Vier letzte Lieder

 

La longévité de Richard Strauss (1864-1949) lui confère non seulement le statut de dernier compositeur romantique allemand, mais aussi de témoin de l’effondrement d’un empire qui avait dominé plusieurs siècles de la civilisation occidentale. C’est dire l’importance historique et esthétique de son art… !

 

Dans un tel contexte, les Quatre derniers Lieder occupent une place particulière dans l’histoire de l’homme et de la musique. Accumulation de toute la tradition germanique, l’art de Richard Strauss a su être unique et original. Son parcours biographique est particulièrement révélateur du personnage.

 

Corniste de formation, il sent vite l’attrait pour la composition et sa première symphonie est jouée à Munich par Hermann Levi dès 1881. Devenu chef d’orchestre (sans doute l’un des plus grands de la première moitié du XXème siècle !), il compose de nombreux poèmes symphonique pour Berlin, Vienne, Bayreuth et Weimar. Sa réputation s’étend à toute l’Europe. Il épouse en 1894 la cantatrice Pauline de Ahna avec qui il traversera l’existence au rythme des bonheurs et scènes de jalousie légendaires. Sa carrière dans l’opéra sera gigantesque et sa collaboration avec Hugo von Hofmannstahl (le Da Ponte de Strauss) donnera naissance à six grands ouvrages, piliers de l’opéra moderne. Parmi ceux-ci, citons, Elektra, Der Rosenkavalier, Ariadne auf Naxos et Die Frau ohne Schatten.


 Richard Strauss


Restant en Allemagne sous le régime nazi et occupant même le poste de président de la Reichmusikkammer dès 1933, il refusera de rester en poste lors de la déportation de son ami Stefan Zweig. Il se réfugiera en Suisse et esquissera ses dernières œuvres, témoignages d’un monde en pleine disparition (Métamorphoses, Capriccio, Vier letzte Lieder).

 

On a souvent reproché à Strauss une vie rangée, aisée et bourgeoise. Comme si cette situation tranchait avec l’idée traditionnelle de l’artiste romantique, tourmenté, pauvre et malade, on a beaucoup discrédité sa musique et considéré qu’elle ne véhiculait pas les problèmes existentiels de l’âme humaine. Aujourd’hui, on commence à admettre qu’il n’en est rien. On redécouvre la profondeur de ses opéras et les questions essentielles qu’ils nous posent. On retrouve une profondeur au-delà de la virtuosité des poèmes symphoniques. Enfin, on comprend un processus créateur différent de celui de son contemporain, mort trop tôt, Gustav Mahler.

 

Les Quatre derniers Lieder font partie des plus belles mélodies avec orchestre jamais composées. Dans sa retraite suisse, Richard Strauss avait mis en musique (1946) un texte du poète Eichendorff, Im Abendrot (Au crépuscule) qui raconte la fin du voyage pour un couple las de traverser l’existence et aspirant au repos. L’aspect  biographique de ce choix semble évident. Cet adieu, placé désormais en dernière place dans le cycle de mélodies est particulièrement touchant dans sa douceur et son apaisement ultime. L’orchestre, coloré comme un crépuscule (Strauss a été l’un des plus formidables orchestrateurs de l’histoire avec Ravel !), évoque le sommeil et la mort avec une douceur toute irréelle. La partie chantée, toute éthérée, semble accéder déjà à cet ailleurs tant recherché par les compositeurs de toutes les époques et le postlude, d’une rare émotion, nous transporte dans l’éternité immobile. Un des grands moments de toute la musique !

 EICHENDORFFJoseph von Eichendorff


Composés un peu plus tard (1948) sur des poèmes d’Hermann Hesse, les trois autres mélodies semblent nous préparer à la dernière, bien que l’ordre du cycle n’ait sans doute pas été envisagé par le compositeur lui-même. La première, Frühling (Printemps), chante le renouveau de la nature et la jeunesse chaque fois retrouvée et aboutit, avec une sensualité forte, à l’extase finale. La voix, typique des grandes héroïnes d’opéra, plane sur les hautes cimes de la tessiture de soprano.


Hermann HesseHermann Hesse
 


September, le deuxième texte de Hesse, évoque quant à lui l’automne et le cycle finissant. Ce sont toutes les couleurs de la basse saison que l’orchestre et la voix nous accordent. La densité orchestrale et le nombre de thèmes générant des images (feuilles qui tombent, cor annonçant le crépuscule, …) sont unis dans une forte polarité tonale et rythmique.


 Elisabeth  SchwarzkopfGeorge Szell


Comme une berceuse, En s’endormant (Beim Schlafengehen), utilise encore un texte de H. Hesse. Entre les strophes dont le chant semble se déposer sur l’orchestre, un solo de violon vient dispenser son chant berceur et consolateur. On ressent ici un mélange de calme et de nostalgie. L’homme contraint de quitter un monde qui n’est plus le sien jette un dernier regard en arrière avant de s’endormir et de laisser place au couchant de Im Abendrot.

 

Bien que de nombreuses versions discographiques soient disponibles, je reste très attaché à la version avec laquelle j’ai découvert ce cycle de mélodies. Depuis, j’en ai acheté au moins dix versions…que je n’écoute jamais ! J’en reviens toujours à cette interprétation magique de 1966 avec Elisabeth Schwarzkopf, l’Orchestre symphonique de la Radio de Berlin, dirigé par George Szell et réédité chez EMI dans la collection Grands enregistrements du siècle.


 Strauss Vier letzte Lieder


Tout ici y est parfait. Le chant de la grande Elisabeth y est d’une rare pureté, dégagé du maniérisme qui la caractérise parfois. Le timbre de sa voix, tour à tour voilé et lumineux, s’adapte à chaque émotion, sa diction allemande est impeccable et parfaitement compréhensible. La direction de Szell est parfaite. Il parvient à créer les climats les plus intemporels en gardant ce chatoiement si particulier à l’orchestration de Strauss. L’orchestre semble le suivre avec émotion et finesse, mettant un point d’honneur à transmettre les émotions ultimes du maître de Garmisch Partenkirchen.

 

Un cd absolument essentiel à toute discothèque !

3 commentaires sur “Vier letzte Lieder

  1. les regrettés Lucia popp avec Klaus tennstedt vaut largement le détur d’oreile également….

  2. Superbe version également, mais dans un tout autre esprit! Plus sombre, plus dramatique, plus épaisse aussi au niveau orchestral! La voix de Janowitz est plus tragique, plus crépusculaire que celle de Schwarzkopf. Je préfère une vision plus apaisée et lumineuse. Par contre, je n’aime pas du tout le vibrato excessif de Jessie Norman dans la version avec K. Masur chez PHILIPS qui jouit pourtant d’une grande réputation.

  3. Et que pensez-vous de cet autre référence de la discographie qu’ est la version de G. Janowitz avec Karajan, D.G. 1971 ?

Les commentaires sont fermés.