J’ai déniché, il y a quelques semaines sur une foire au livre d’occasion, un opuscule dont l’auteur n’est autre que le grand pianiste suisse Edwin Fischer (1886-1960). Nommé « Considérations sur la musique » et dédié à « de jeunes musiciens », l’ouvrage, sur un ton qui n’est certes plus d’aujourd’hui, montre toute l’ampleur de sa culture et de son expérience. Pour l’époque (la fin des années 1940), il était clairvoyant et très moderne dans son approche même si son tempérament romantique est tout à fait perceptible et ses tournures un peu démodées. Par contre, le fond même de son discours est toujours aussi actuel. Comment en serait-il autrement ? A lire ses propos, on comprend mieux la vie qui animait ses interprétations. Je ne résiste pas à vous livrer ici cette allocution prononcée par le maître à ses élèves lors de l’ouverture d’un cours d’interprétation en 1937.
« Pour nous consacrer ensemble aux œuvres des grands maîtres, c’est avec intention que nous avons choisi cette calme maison, cette gentilhommière, loin de l’agitation des villes, et que vous ne pouvez atteindre que par un bon quart d’heure de marche. Privés de lumière artificielle, d’auto, de téléphone, entourés de la seule nature, j’espère que vous avez déjà abandonné en route vos inquiétudes, vos soucis de tous les jours, tout cela, qui est trop matériel.
Familiers déjà des arbres, des nuages et du vent, vous êtes préparés à vous approcher de ces œuvres. Il ne s’agit pas, en effet, de vous apprendre rapidement quelques morceaux … Je ne prétends à rien d’autre et à rien de moins qu’à vous entraîner loin du piano pour vous ramener à vous-même.
En ces temps de technique et de mécaniques perfectionnées, un morceau de piano qui ne serait que « bien joué » (au sens purement pianistique de l’expression) n’aurait plus aucune valeur. Seul un art vécu par l’intérieur et auquel votre personnalité prend une part créatrice, reste intéressant, efficace et constructif. Il faut donc vous atteindre et vous retrouver vous-même.
Pour y parvenir, ceux qui ne l’ont pas su auparavant doivent mourir de cette mort qui est sacrifice de toute vanité, doivent abandonner ce qu’ils ont appris : le faux et le « postiche ».
Ensuite, tel un chercheur, il vous faut descendre dans les tréfonds obscurs de votre être intime et retrouver les lieux de votre enfance. Prêtez l’oreille aux bruissements de vos désirs et de vos nostalgies, redevenez naturels et authentiques comme l’enfant, l’arbre et la fleur ; ressentez librement la plénitude de la vie. Enfin, lorsque vous aurez trouvé la paix, lorsque vous vénérerez ce dieu en vous, que vous appuierez votre oreille contre la rocaille primitive pour écouter le son mystérieux qui traverse les mondes, – ce dieu fera jaillir de votre être intime et de votre essence le feu sacré de l’imagination.
Si alors tu deviens fort et humble tout à la fois, tu contempleras le paysage de ton être le plus intime, et l’essence des choses : tu auras la notion de la force, de la grandeur, de la beauté, de la douceur et de la transfiguration, et aussi de la souffrance. Lorsque tu auras assumé ces archétypes, vivifie tes actes, ton art, par l’influx de tes forces et façonne tout, ensuite, au gré de ton imagination. L’image de ta beauté, de ta grandeur, de ton amour et de ta tristesse, celle aussi de ton espérance et de ta joie s’épanouira magnifique et féconde. Tu deviendras créateur…
A ses meilleures heures, l’homme qui crée est d’essence divine. S’il ne t’est pas donné de transposer l
e monde intérieur de tes représentations par des créations originales, il te reste toutefois les œuvres des grands maîtres. Elles sont pareilles à des vases prêts à capter tes influx. Ces magnifiques monuments peuvent être l’autre moitié de ta vie. Etreins-les, vivifie-les, sans leur faire violence ! Ennoblis-toi, grandis à leur contact, et prête à ces visions d’un royaume pressenti la force et la chaleur de ta vie.
Cependant, ce monde pressenti, spirituel, a besoin des réalités d’ici-bas pour se manifester. Et même s’il est vrai que nous utilisons pour notre art la matière la plus spirituelle qu’il se peut concevoir, celle qui n’est déjà plus liée à cette terre (la vibration), elle aussi, cependant, doit être formée et travaillées. Le chemin est long qui va de l’archétype à travers l’âme, le physique de l’interprète et l’instrument, jusqu’à l’œuvre musicale, – il se perd quelque chose à chacune des stations de ce chemin de croix, une parcelle seulement de l’archétype finit par se réaliser.
Si je puis vous aider sur cette route, je le ferai volontiers, afin que, de l’œuvre et de votre personnalité tout ensemble, surgisse ce quelque chose de nouveau par quoi resplendira, en force et en pureté, l’Eternel, pour quoi seul il vaut la peine de vivre ».
Vous corrigerez bien les fautes d’orthographes….
Merci
Très beau texte!!
De plus, faut-il encore parvenir à se détacher de la partition, à se détacher de son propre corps par une maîtrise de la technique….. alors, peut-être un jour, après avoir répété 10,100, Xfois arrive-t-on à atteindre cette plénitude d’avoir approché l’émotion du compositeur.
Néanmoins, à l’écoute de grands maître, on découvre foule de détails, un jeu de pédale, un toucher, une nuance.
Et si on ressent le texte de manière différente, on a alors ce privilège de créer ne autre manière.
Merci pour cette contribution.
Après la Fantaisie de Mozart, je vais découvrir le prélude et fugue de Bach, c’est celui du 2è livre? Cette fugue aussi, est une musique « du bon dieu »!!!