Je participais, jeudi dernier, à une table ronde sur le principe de la ville acoustique telle que présentée dans la Charte de Linz 2009 par le compositeur et directeur des manifestations culturelles Peter Androsch (la ville autrichienne de Linz est la capitale de la culture 2009). Monsieur Androsch avait fait tout spécialement le déplacement à Liège pour présenter un projet pour le moins original et pour plaider sa cause auprès des autorités liégeoises. J’étais invité, parmi d’autres disciplines artistiques, politiques et scientifiques, à émettre des commentaires en rapport avec ma spécialité, la musique et sa pédagogie. Voici en deux billets quelques unes de mes réflexions à ce sujet.
Peter Androsch
Il faut d’abord signaler que Linz est une ville importante d’Autriche. Située sur le Danube, elle possède une riche histoire depuis l’époque romaine. Elle fut une capitale impériale jusqu’en 1493 avant de devenir un centre industriel majeur. Pendant la Seconde guerre mondiale, Linz fut un centre important dans la production de composés chimiques et d’acier pour les machines de guerre nazies. Mais la région est aussi connue pour le complexe de camps de Mathausen-Gusen, le dernier camp de concentration Nazi à être libéré par les Alliés à peine à trente kilomètres de Linz.
Linz
Aujourd’hui encore, la ville reste industrielle et ses productions chimiques et d’acier demeurent ses spécialités. La ville elle-même est le siège d’une activité musicale et artistique très importante subventionnée par la municipalité et l’état de Haute-Autriche. On peut même affirmer que Linz cultive avec succès et ferveur une culture basée sur la tradition (bâtiments baroques, dont l’ancien Hôtel de ville), sur la modernité (construction d’un nouvel opéra qui devrait être inauguré en 2014) et sur le futurisme (mise en avant des technologies les plus pointues au Festival Ars Electronica, chaque année).
Liège
L’histoire industrielle, l’Université, les dimensions de la ville avec son fleuve, la recherche de reconversions et l’ambition d’entrer dans le XXIème siècle avec tous les atouts nécessaires pour affronter un « nouveau monde », avec un attrait tout particulier pour la culture et le tourisme, voilà autant de synergies (le mot est à la mode !) qui veulent rapprocher Linz et Liège. C’est justement dans ce cadre que le concept de ville acoustique était présenté la semaine dernière.
Mais vous vous demanderez, à juste titre, de quoi il peut bien s’agir. Explications.
Le concept est né d’une constatation simple et scientifique. Les villes modernes sont autant polluées par le bruit que par les autres facteurs habituels. On n’a pas souvent travaillé sur cette problématique qui, laissée à l’arrière plan des grands enjeux environnementaux traditionnels, est pourtant la cause de nombreuses maladies liées au stress, aux troubles de l’ouïe et à la fatigue « pathologique » typique des villes modernes. Il suffit de se mettre à écouter les bruits de la ville pour prendre conscience que nous sommes continuellement plongés dans un magma sonore incroyable que nous croyons ne plus entendre, mais qui fait des ravages irrémédiables sur notre état de santé. Ces constatations ont été consignées dans ce qu’on nomme la Charte de Linz signée et approuvée par les autorités municipales et de nombreuses entreprises privées et publiques (http://www.hoerstadt.at/linz_charta/document.html ).
La Charte a donc un double objectif. Le premier est de cibler ce qu’on nomme un espace acoustique et de constater que l’environnement appartient à chacun sans distinction et que chaque être humain a le droit de déterminer son espace acoustique.
Le document se veut donc profondément humain et démocratique, remarquant que chacun a le droit au son. Mais comme en démocratie, la liberté s’arrête là où commence celle de l’autre, il est urgent de délimiter les nuisances qui affectent l’espace acoustique et de ménager des zones de non bruit (pas des zones de silence, on connaît l’effet nuisible pour l’équilibre psychologie de l’être humain de l’absence totale de sons). Mais le second objectif vise à réduire, plus fondamentalement, les bruits ambiants et nuisibles. Le moyen ? La sensibilisation des acteurs citadins quels qu’ils soient à l’amélioration de l’environnement. Les acteurs de la Charte prônent, par exemple, un travail des architectes sur des constructions qui amplifient moins les sons de la rue (on affirme, mais je n’ai pas les moyens de vérifier cette donnée) que les constructions des façades en verre, qui sont très nombreuses aujourd’hui) renvoient le son amplifié de manière exponentielle. Ils tentent également de convaincre les commerçants de réduire les musiques d’ambiance des magasins, ils cherchent à mettre un contrôle sur les émissions sonores des véhicules circulant dans nos villes et désirent créer au sein de nos villes des zones de non bruit (un peu comme dans les églises, mais de caractère tout à fait profane) ou chacun pourra se ressourcer, ce qui représente déjà une initiative très intéressante. Toutes ces démarches, et j’en passe, ont pour but de créer ces espaces sonores moins nuisibles tant pour les travailleurs que pour les consommateurs des villes.
Les organisateurs se targuent d’avoir recueilli l’adhésion de tous, des autorités, de nombreuses entreprises privées et même d’industriels. La première remarque que nous pouvons faire, en toute honnêteté, c’est qu’approuver la charte n’est rien d’autre qu’une politesse. La charte ne propose pas de vrais moyens de réductions des sons et donc n’engage pas vraiment les signataires. Quand il faudra payer pour améliorer l’espace sonore, nous verrons qui sera encore de la partie ! D’autant que l’époque, même si elle est sensible aux problématiques environnementales, a d’autres chats plus urgents à fouetter (crise économique, montée du chômage, …). Y aura-t-il de l’argent pour mettre en pratique ces beaux principes ? Je n’en suis pas si sur. Et puis il y a cette question qui me revient sans cesse : n’est-ce pas une utopie que de croire en la mise en œuvre par chacun (nous constatons tous les jours des manifestations sonores de l’égoïsme humain !) d’une régulation des bruits de la ville au profit de ses habitants ?
A suivre…