Ces derniers temps, de multiples voix semblent s’élever pour l’instauration d’une langue universelle et unique. En francophonie, il est de bon ton de remettre en cause l’efficacité de notre langue et de la dénigrer. Comme les amoureux passionnés qui ont instauré la semaine de la langue française (du 26 au 23 mars) et hier, la journée de la francophonie, (voir l’article dans Le Monde en ligne : http://www.lemonde.fr/livres/article/2009/03/20/pourquoi-ils-ecrivent-en-francais_1170385_3260.html) je soutiens l’initiative même si de nos jours ce n’est pas une langue unique que l’homme devrait posséder, mais un multilinguisme efficace.
Car la langue est une part essentielle de la culture et la défendre n’est pas un acte protectionniste au sens économique du terme, mais une préservation du patrimoine. En effet, qui dit langue dit culture. Qui dit langage dit pensée. Notre langue maternelle est certes difficile et contient ses propres limites, mais si nous n’y prenons garde, la négligence que nous lui réservons pourrait bien se retourner contre nous. Penser dans une langue étrangère est le véritable résultat de l’assimilation des modes de fonctionnement de toute une culture et seuls des bilingues parfaits peuvent y parvenir. Parce que la sensibilité y est également profondément associée, il faut avoir assimilé toutes les facettes de la culture de la langue. Ce n’est pas chose aisée et surtout pas à la portée de tous.
Il faudrait alors que l’enseignement soit orienté dès le départ vers l’ouverture aux langues étrangères, ce qui est loin d’être le cas en Belgique francophone. Sans doute pêchons nous par la croyance que le français est une langue universelle … nous avons tort ! Car chaque langue (même les moins parlées est le témoignage d’une culture authentique qui doit être préservé). On affirmait, il y a quelques jours que l’humanité possédait quelques 6000 langues dont 3000 étaient sans doute amenées à disparaître. C’est bien dommage car avec elles, ce sont des pans entiers du patrimoine humain qui disparaît. Aucune langue n’est inutile, que du contraire.
Imaginons une fiction, tout à fait improbable, qui verrait la disparition de la langue russe. Comment serions-nous capables dès lors de comprendre les trésors de la littérature, dont la traduction ne peut rendre compte qu’imparfaitement ? Comment pourrions-nous encore en comprendre la musique qui, d’une manière plus profonde qu’on ne le croit habituellement, y est profondément liée ? Comment, toujours, saisir les raisonnements et les modes de vie si particuliers du grand territoire russe et en saisir les finesses de l’art ? Comment, enfin, comprendre l’histoire de la civilisation dont l’usage linguistique représente un témoin irremplaçable ?
Breughel, La Tour de Babel.
Non, décidément, c’est impossible ! Alors, il est naturellement nécessaire de faire en sorte que la langue continue à vivre. La langue bien vivante est forcément garante d’un avenir de la culture. Vous me rétorquerez que la langue a bien changé et que comprendre aujourd’hui le français du XVème siècle relève de la paléographie ou de l’étude historique. Les mots changent, certains apparaissent, d’autres tombent en désuétude, d’autres encore changent de sens avec le temps. Au niveau de la morphologie de la langue et de sa syntaxe, les choses se transforment également. C’est tellement vrai que les grammairiens cherchent à en rendre compte en changeant la terminologie et en proposant des réformes orthographiques, soit disant plus adaptées à nos besoins d’aujourd’hui.
S’il est indéniable que l’apprentissage du français par les étrangers est facilité du fait de la simplification de l’orthographe, la réforme de celle-ci, dans la manière dont elle est menée, équivaut à réduire la richesse du patrimoine et à rendre incompréhensible aux « apprentis » du français des pans entiers de la culture. Je pense à l’étymologie. Supprimer des accents circonflexes et des lettres muettes équivaut à faire perdre définitivement l’origine du mot et les rapports qu’ils peuvent avoir entre eux. C’est vrai qu’écrire devient alors plus facile … je n’en suis même pas sur. Mais notre société doit-elle toujours niveler les choses par la facilité. N’est-ce pas plutôt conscientiser sur la valeur incommensurable de la langue qu’il faudrait faire ? Je ne peux pas répondre à ces questions essentielles.
Je constate cependant un problème pervers à la transformation du vocabulaire et de la grammaire. J’en fais l’expérience tous les jours avec ma fille. Elle étudie, au cours de français, une terminologie différente de la mienne. A priori, il s’agit simplement de nommer les mêmes choses de manière différente … mais pas plus clairement. Mais au cours de latin ou de néerlandais, on utilise toujours l’ancienne terminologie. C’est déroutant pour l’élève qui doit nommer les mêmes choses de manière différente en fonction de la langue utilisée. Or chacun sait que les langues ont des fonctions grammaticales identiques (ou presque). Alors où est l’utilité de la réforme. C’était bien plus clair avant ! De même pour le vocabulaire. On connaît l’importance des racines latines sur notre langue française. Changer l’orthographe ne permet plus de repérer ces racines communes et pose, en conséquence, des problèmes de sens des mots dans les deux langues … on pourrait multiplier ainsi les exemples à l’infini.
Alors oui, le français est une superbe langue. Elle est difficile, c’est vrai, mais elle résulte d’une volonté d’exprimer, de transmettre un message rempli de ses références culturelles et de ses cheminements de pensée. Personne n’échappe à ses pièges. Mais n’est-ce pas aussi cela qui la rend belle et attachante ? Alors, imaginez le jour où tout sera unique pour le monde. Il nous faudra lire les Fables de Lafontaine en anglais… quelle perte irrémédiable !
Et tout cela sans aborder les variantes d’une même langue, les accents locaux et expressions typiques si chargés d’identités. Allez à Marseille, passez par Paris, venez à Liège et débarquez au Québec et rendez-vous en Suisse, vous aurez un aperçu de l’apport local d’une même langue. Vous comprendrez pourquoi la langue ne sera jamais universelle, car les cultures, les us et les coutumes si variés, si riches.
Le français n’est pas une langue meilleure ou moins bonne qu’une autre. Ce concept relèverait d’une forme de racisme et d’intolérance. Elle est comme une autre, le vecteur de la culture et de la pensée et en ce sens, toutes les langues doivent être préservées. La langue unique serait un retour à l’avant « Tour de Babel », un monde où tout le monde se comprenait, dit la Bible. Mais Dieu, en croyant punir les hommes de leurs prétentions à s’entendre pour aller vérifier sa présence au ciel, a créé la diversité et donc la richesse. Merci de vous être trompé Mon Dieu !
…à propos de cette « réforme » de l’orthografe ;-). Il faut rappeler que cette réforme a 19 ans d’âge et avait été approuvée même par les plus conservatrices des autorités académiques.