« Le monde contemporain, but de toute la peinture impressionniste, a longtemps pris pour Monet l’aspect de sa femme Camille. Ses multiples portraits jalonnent les premières années d’Argenteuil. Elle lit dans l’éblouissement des taches de soleil, s’arrête à sa fenêtre, au milieu des fuchsias et des capucines grimpantes, bavarde sous les lilas, s’ennuie auprès d’un inconnu ou dans un champs de marguerites.
Parfois, Jean est près d’elle, petit garçon grave qu’une bonne surveille.
Cette femme-fleur va bientôt se faner pour mourir et déjà Monet se détache d’elle.
Camille et Jean sur la colline, 1875, Huile sur toile (100 X 81 cm)
Camille et jean sur la colline, accroché à la deuxième exposition impressionniste, en 1876, a été acquis la même année par le docteur de Bellio. Le double sentiment du temps qui passe et du temps météorologique imprègne, à l’instar des images de l’ukiyo-é*, ce monde éphémère et flottant en perpétuel devenir. Dans une admirable mise en page, légère comme la femme décrite par Rimbaud, « l’ombrelle aux doigts foulant l’ombrelle trop fière pour elle ».
Camille s’inscrit au sommet d’une colline que n’atteint pas encore son fils. Leurs deux ombres inégales foncent la verdure acide des herbes de juin sous lesquelles se devinent de légers accidents du terrain. Les petites touches heurtées, choquées, rapides, donnent à ce premier plan de prairie une sorte de mouvance accentuée par leur camaïeu de verts à peine caressés d’indécises fleurettes jaunes. Des touches plus larges font tournoyer les nuages que le vent semble déchiqueter. Il secoue l’ombrelle, entraîne la jupe, agite la violette.
Ces sensations visuelles, Monet les reçoit et les transmet au spectateur. Les divers bleus du ciel contaminent par leurs reflets les blancs du costume. Assortie au ciel changeant, cette tenue doit apparaître aux yeux de l’enfant comme la robe du temps portée par Peau d’Âne.
Plus tard, Monet reprendra ce thème plastique avec toute sa puissance, mais sans retrouver l’état de grâce par lequel ce tableau résume l’impressionnisme dans son ensemble »
Sophie Monneret, Monet, l’homme, la vie, l’oeuvre, Paris, éditions Mengès, 1994.
* L’Ukiyo-e (浮世絵, Ukiyo-e?, terme japonais signifiant « image du monde flottant ») est un mouvement artistique japonais de l’époque d’Edo (1603-1868) comprenant non seulement une peinture populaire et narrative originale, mais aussi et surtout les estampes japonaises gravées sur bois. (wikipédia)
Magnifique commentaire. Camille semble absorbée par le ciel, impression accentuée par la vue en contre-champ.