Il est bien rare de rencontrer un compositeur anglais qui a pu bénéficier, de son vivant, d’un grand prestige. la musique ancienne montre trop souvent que les compositeurs locaux ont trop souvent été supplantés chez eux par des étrangers. Les cas de Haendel, Haydn ou Clementi en témoignent. Pourtant, aux touts débuts de l’époque baroque, un luthiste va donner non seulement ses lettres de noblesse à un instrument dont la vogue n’aura d’égale que celle du piano au XIXème siècle mais aussi donner à la nation anglaise des formules musicales qui seront reconnaissable entre toutes. Ce sont ces formes là que bien plus tard, les compositeurs anglais reconnaitront comme les racines de leur art.
John Dowland (1562-1626) naquit sans doute à Londres et quitta tout jeune encore l’Angleterre. On ne connait rien de sa famille et de son éducation. De 1580 à 1584, il est à Paris au service de l’ambassadeur d’Angleterre. Il voyage ensuite dans toute l’Europe chez les ambassadeurs de la reine dans divers pays. Son instrument: le luth.
Entre 1584 et 1594, Dowland est de retour dans son pays. Il obtient le grade de « Bachelor of Music » à Oxford en 1588 et, quelques temps plus tard à Cambridge.
À partir de 1590 et pendant les dix ans qui suivent, il voyage à nouveau à travers l’Europe. On le retrouve luthiste à la cour de Brunswick pui à celle d’Hesse. En 1595, il entreprend le voyage d’Italie qui le conduit à Venise, à Padoue, à Gênes, à Ferrare, à Florence et enfin à Rome où il devient l’élève du fameux madrigaliste Luca Marenzio, ce qui ne manquera pas de laisser dans son style les traces de l’emploi inouï des dissonances expressives. Il est alors probablement le plus grand luthiste d’Europe.
En 1598, il est nommé luthiste à la cour du roi Christian IV du Danemark, qui lui offre un salaire aussi élevé que celui des hauts dignitaires du royaume. Il fait alors quelques voyages en Angleterre pour acheter des instruments mais en 1606, il est renvoyé de la cour pour mauvaise conduite. Il s’installe alors à Londres où il possède une maison. Pourtant, sa situation financière est désastreuse. Il est désespéré. il parvient cependant à attirer l’attention du roi d’Angleterre Jacques Ier qui finit par le nommer « Musician for the lute » en 1612. Il gardera cet emploi prestigieux jusqu’à sa mort à Londres en 1626. Son fils, Robert Dowland, lui succédera alors jusqu’en 1641.
Un exemple de tablature de luth.
La plupart des oeuvres pour luth de John Dowland ne furent pas publiées de son vivant et restèrent inédites pendant de longues années. pourtant, bon nombre d’entre elles se retrouvent arrangées sous la forme de compositions vocales à deux, quatre ou cinq voix avec accompagnement de luth écrit en tablature dans les trois volumes des « Songes of Ayres » (Mélodies et airs accompagnés au luth) publiées, elles, entre 1597 et 1603. C’est ainsi qu’on retrouve la célèbre « The Frog gaillard » sous le titre « Now, O now, I needs must parts » et la Gaillarde du Prince d’Essex devient le support de paroles « Can she excuse my wrongs ».
Le superbe « I saw my Lady Weep » chanté par A. Scholl.
Mais le morceau le plus célèbre de tous, si populaire à Londres qu’on y trouve des allusions dans de nombreuses pièces de l’époque, est le fameux « Lachrimae Antiquae » qui illustre, dans le deuxième livre des airs avec luth la mélodie « Flow my Tears ».
En 1604, Dowland publie encore un recueil de pièces pour cinq violes avec réduction pour luth intitulé « Lachrimae » avec en sous-titre: Sept larmes figurées par sept pavanes passionnées accompagnées de diverses autres pavanes, galliardes et allemandes. La fameuse « Lachrimae Antiquae » évoquée ci-dessus ouvre le volume et toutes las autres « larmes » débutent par le même motif thématique procurant à l’ouvrage une unité remarquable.
La musique pour luth seul de Dowland souffre d’un manque de datation efficace. les traces de ses ouvrages se retrouvent dans de nombreuses éditions, mais aucun n’est vraiment original. Elles furent pourtant très célèbres en leur temps et pendant tout le XVIIème siècle, tant en Angleterre que dans l’Europe entière. Surtout connu comme virtuose de luth, il parcourait les cours et se produisait, laissant, ça et là les traces de son passage les oeuvres copiées par les luthistes locaux. Toutes ces pièces étaient écrites pour un luth à onze cordes, soit six choeurs (cinq doubles cordes et la plus aigue, la chanterelle, simple).
Les pièces étaient écrites en tablature anglaise et outre les fantaisies virtuoses, les gaillardes dansantes (ne disait-on pas que la reine Élisabeth Ière dansait vivement la gaillarde en remontant ses jupes?) et les allemandes, les pavanes constituaient l’essence de l’émotion de la musique de Dowland. Cette mélancolie tellement typique nous touche encore aujourd’hui avec une incomparable force. C’est un peu comme si un romantisme avant la lettre avait balayé les arts anglais de la fin de la Renaissance. Maniérisme, baroque particulièrement expressif ou seulement le fait d’un seul compositeur?
Pas surprenant donc que même des chanteurs du registre pop/rock se l’approprient à l’image de Sting qui avec la complicité du luthiste Edin Karamazov revisitait les grandes mélodies de Dowland dans son fameux album « Songs from the Labyrinth » édité par la prestigieuse marque à l’étiquette jaune (DGG)…!