Avant de mettre le blog en pause pour quelques jours qui me permettront de ralentir un peu mes activités soutenues des ces dernières semaines, voici un aperçu du sujet que je vais approfondir une nouvelle fois en prévision d’une conférence que je donnerai le mercredi 9 novembre au Petit Théâtre de Liège. L’Opéra royal de Wallonie va mettre à l’affiche à partir de la fin de novembre le fameux « Vaisseau fantôme » de Richard Wagner. Je m’en vais donc embarquer sur le bateau maudit et errer sur les mers imaginaires de la célèbre légende…
D’après ses propres dires, Wagner commença sa « carrière de poète et abandonna celle de fabricant de livrets d’opéra » avec l’histoire du Hollandais volant connue dans différentes versions. Wagner retint celle de H. Heine relatée en 1834 dans les Mémoires de Monsieur de Schnabelewopski, car il la considérait comme « véritablement dramatique ». Les motifs qu’il utilisa pour créer son opéra sont presque entièrement repris de cette version, en voici ce qu’en dit Schnabelewopski :
« Vous connaissez certainement la légende du Hollandais volant. C’est l’histoire du vaisseau maudit qui ne peut jamais atteindre le port et erre sur la mer depuis des temps immémoriaux. Ce spectre de bois, cet horrible vaisseau, tire son nom de son capitaine, un Hollandais. Un jour, malgré la violente tempête qui soufflait alors, il jura par tous les diables qu’il doublerait un certain cap, dont le nom m’échappe, dût-il même naviguer jusqu’à la fin des temps. Le diable l’ayant pris au mot, il doit désormais errer en mer jusqu’à la fin des temps, à moins qu’il ne soit délivré par la fidélité d’une femme. Le diable, bête comme il est, ne croit pas à la fidélité des femmes. Aussi permit-il au capitaine maudit de mettre pied à terre tous les sept ans, de se marier, et de tenter sa délivrance de cette façon. Pauvre Hollandais ! Il est souvent plutôt heureux d’être à nouveau volontairement quitte du mariage et débarrassé de sa rédemptrice. Il retourne alors à bord.
Vaisseau fantôme (1896) par Albert Pinkham Ryder
La pièce que je vis au théâtre d’Amsterdam était fondée sur cette légende. Sept ans se sont à nouveau écoulés. Le pauvre Hollandais est plus que jamais las de l’interminable errance. Il met pied à terre, se lie d’amitié avec un commerçant écossais qu’il rencontre, lui vend des diamants à un prix dérisoire. Apprenant que son client possède une jolie fille, il la demande en mariage. Ce marché là est également conclu. Nous voyons ensuite la maison de l’Écossais. La jeune fille attend son fiancé le cœur battant. Elle regarde souvent avec mélancolie un tableau défraichi suspendu dans la pièce et qui représente un bel homme en costume hispano-néerlandais. C’est un vieil objet d’héritage et, selon les dires de la grand-mère, il serait un fidèle portrait du Hollandais volant tel qu’on le vit en Écosse cent ans auparavant, au temps du roi Guillaume d’Orange. Ce tableau a toujours été lié à une mise en garde, conseillant aux femmes de la famille de se méfier de l’original. C’est pourquoi la jeune fille, depuis son enfance, a gravé dans son cœur les traits de cet homme dangereux.
Lorsque le véritable Hollandais entre en personne, le jeune fille tressaille, mais pas de crainte… La fiancée le considère sérieusement et jette de temps à autre un regard vers le portrait. C’est comme si elle avait deviné son secret. Lorsqu’il demande ensuite : « Catherine, veux-tu m’être fidèle ? », elle répond, déterminée : Fidèle jusque dans la mort ».
Lorsque je revins au théâtre, j’arrivai justement à la dernière scène de la pièce où, sur un écueil élevé, la femme du Hollandais volant, Madame la « Hollandaise volante », se tord les mains de désespoir, pendant que sur la mer, sur le pont supérieur de son vaisseau, se tient son malheureux époux. Il l’aime et veut la quitter pour ne pas l’entraîner dans sa perte. Il lui avoue son horrible destin et l’affreuse malédiction qui pèse sur lui. Elle lui crie cependant : « Je t’ai été fidèle jusqu’à présent, et je sais un moyen sûr de l’être jusque dans la mort ! » À ces mots, la femme fidèle se jette dans la mer, et ainsi prend fin la malédiction du Hollandais. Il est sauvé, et nous voyons le vaisseau fantôme sombrer au fond de la mer ».
Rien à voir avec la saga cinématographique du Pirate des Caraïbes du célèbre Johnny Depp et de son réalisateur Gore Verbinski qui traite des éléments de la légende du Hollandais de manière humoristique… ! Complexe extrêmement condensé de toutes les particularités du romantisme, le Vaisseau fantôme de Richard Wagner examine les grandes idées du temps, la notion de péché originel, de supplice par l’errance éternelle, de rachat de la faute par le truchement de l’éternel féminin, de la rédemption par l’amour dans la mort…, bref de toutes ces notions qui, si elles ne sont pas expliquées mais seulement énoncées peuvent sembler ringardes et d’un autre temps… Alors, en embarquant sur ce singulier vaisseau, je ne sais pas trop dans quelle aventure je me suis encore fourré… et dans ces conditions, si l’état de la mer le permet, je vous enverrai peut-être une carte postale… qui sait ?
Bon congé de Toussaint…