Bruckner et Celibidache

Comme promis hier, je commence la revue des enregistrements discographiques qui me tiennent particulièrement à coeur.

Depuis bien des années maintenant, j’ai été atteint par le virus brucknérien. J’étais tout à fait indifférent à la musique du maître de Saint Florian jusqu’au jour où j’ai entendu, il y a une quinzaine d’années, une interprétation de la septième symphonie par le chef roumain S. Celibidache et l’Orchestre philharmonique de Münich.

Celibidache

Subjugué par l’ampleur sonore du premier mouvement et de sa longue phrase des violoncelles, ému aux larmes par l’adagio funèbre et revenu à la vie dans le choral final, je n’ai jamais plus quitté ce compositeur encore trop méconnu des mélomanes latins.

Depuis, j’ai écouté avec émotions toutes les symphonies de Bruckner dans diverses interprétations. Il ne passe pas une semaine sans que je vibre au son de cet orchestre extraordinaire et de l’interprétation unique de Celibidache.

Le coffret ré-édité chez EMI il y a quelques années est vraiment magique (je l’ai même acheté deux fois au cas où l’un des cd’s deviendrait illisible!). La critique n’a pas toujours été de mon avis.

Ce qui gêne souvent les auditeurs de Bruckner, c’est la lenteur apparente de ce chef. En fait, il n’aimait pas l’enregistrement. Il pensait que la musique doit se vivre en salle pour rester vivante (il n’avait pas tort du reste). Cette publication posthume, il ne l’aurait sans doute pas cautionnée. Nous aurions alors perdu irrémédiablement ces concerts remarquables parfaits en tous points.

Bruckner Celibidache EMI

EMI 5566882
 

La lenteur? et bien parlons-en! Le tempo chez Bruckner a toujours été un lieu d’affrontement des critiques. On voudrait le jouer plus vite que les indications du compositeur sous prétexte de longueur. Non, c’est l’inverse. Elles paraîssent longues lorsqu’elles sont jouées trop vite. On les assimile alors à une dynamique beethovenienne de mauvais aloi dans ce cas. Bruckner ne pense pas le temps comme Beethoven ou comme Brahms. Il a vécu dans le monde de l’Abbaye de Saint Florian, où le temps semble s’écouler autrement. Il ne faut pas attendre l’événement sonore chez lui, il faut le vivre au moment où il se présente. C’est seulement ainsi que dans une attitude de méditation l’oeuvre prend tout son sens. En salle de concert, le tempo sera variable en fonction de l’acoustique ambiante et de la diffusion du son.

Bruckner était animé d’une Foi profonde et ses symphonies en sont l’illustation. Elles sont un long parcours entre les ténèbres humaines et l’illumination divine. C’est pour cela que tant de ses oeuvres se terminent par un choral triomphant. On n’est cependant pas obligé de partager la Foi du compositeur. Lui-même va bien au-delà. Nous devons, par contre, les vivre comme des expériences spirituelles essentielles dans lesquelles les doutes et les certitudes de l’homme sont mis à l’épreuve. Tout son langage, entre les fortes dissonances annonçant Mahler et Schoenberg et les fugues et chorals rappelant le monde de Bach, en est la parfaite illustration.

Bruckner était aussi organiste et il traite l’orchestre comme de sublimes grandes orgues. Ses timbres sont très particuliers. Outre les mélodies jouées souvent par les bois solistes ou les cordes, les chorals sont toujours massifs aux cuivres. Sa texture polyphonique est très dense et pour ne pas noyer le fil conducteur de ces voix, il faut une clarté orchestrale remarquable. Je ne parle pas de "petits" orchestres aigres (Je cite Herreweghe et j’en prends la responsabilité) et sans beauté qui sont à la mode. Sergiu Celibidache possédait une profondeur orchestrale sans pareille, mettant chaque nuance à sa place. Chaque dynamique est pesée non pas en fonction des décibels produits, mais de l’intensité expressive. Chaque son émis par l’Orchestre de Münich est précis, juste (sauf les cors de la Quatrième) et admirablement phrasé. Ré- écoutez le solo de flûte et de hautbois dans la cinquième c’est à vous donner la chair de poule! … Et que dire de l’architecture…

DO-MuenchnerPhilharmoniker

Orchestre philharmonique de Münich

…Je vous en parlerais encore beaucoup…! En toute honnêteté, j’ai trouvé dans ces versions mon alpha et oméga brucknérien. Ceux qui écoutent mes conférences l’auront sans doute déjà remarqué. Un des expériences musicales les plus essentielles de ma vie de musicien et mélomane…