Hier soir, l’OPL, sous la baguette de Petri Sakari, offrait au public liégeois l’une des plus belles prestations de cette saison. En première partie, Tapiola de Sibelius commenté il y a peu sur ce blog (voir "Le domaine de Tapio). J’attendais avec grande impatience la sixième symphonie de Bruckner, peu jouée et souvent mal considérée par les critiques et le public.
J’ai souvent proclamé mon amour et ma passion pour Anton Bruckner et je considère que la sixième, celle que le compositeur nommait lui-même "Die Keckste" (la plus insolente), est non seulement aussi réussie que les autres, mais contient aussi, en guise de deuxième mouvement, l’une des pages les plus inspirées du compositeur. Si l’oeuvre est insolente, c’est sans doute par la relative détente que l’on peut percevoir dans les mouvements exrêmes et dans le scherzo ainsi que par l’anecdote amoureuse qui l’a vu naître. Par contre, l’adagio est émouvant, douloureux et même funèbre en son troisième thème. Le tout dans des couleurs orchestrales et des harmonies d’une rare subtilité.
Pour l’interprète, le danger de cette oeuvre est de la laisser tomber dans le domaine de l’anecdotique, de croire que Bruckner n’y ait pas mis sa vraie personnalité et la même conviction que dans les oeuvres qui l’entourent. L’acte créateur brucknérien est égal toujours et partout.
Je connaissais Sakari dans Sibelius. Je n’ai donc pas été surpris par la qualité de sa vision de l’ultime poème symphonique de son compatriote. Par contre, je ne me doutais pas qu’il était un si grand brucknérien! Vous connaissez mes goûts exigeants en la matière! Aujourd’hui, je n’ai pas peur de penser que sa vision est très proche de celle de Celibidache, parfaite. Je ne le dis pas par complaisance. Tout y était: tempo idéal, assez lent comme Bruckner le demande, ample phrasé articulé avec souplesse mais fermeté, cordes chaudes et expressives dans toutes les phrases lyriques, cuivres monumentaux dans les chorals et cors à la dynamique très large, enfin, bois homogènes comme un jeu d’orgue, avec une mention particulière pour le hautbois de Sylvain Cremer d’une rare intensité dans l’adagio.
La construction de Sakari est sans faille. Il détaille tous les plans sonores, distille les crescendos (échelles célestes) avec efficacité et structure son discours avec la clarté des grands chefs. Il sait ne pas faire de Bruckner une oeuvre virtuose qui le mettrait lui et son orchestre au premier plan. Il laisse parler la musique seule. Sa modestie naturelle favorise Bruckner et le laisse parler. tout semble évident et naturel. Formidable. Il est rare de sortir d’un concert et de se dire: "Bruckner, c’est cela!" c’était le cas hier.