Les deux livres du Clavier bien tempéré de Jean-Sébastien Bach sont un des nombreux incontournables de l’art musical. Ne perdant jamais de vue l’aspect didactique de sa mission, le Cantor nous a laissé une série d’œuvres d’une force incomparable.
Je vous avoue que je préfère écouter les pièces pour clavier au …piano. Ce dernier parvient à rendre justice à la polyphonie si typique de Bach. Si l’instrument n’existait pas à son époque, il me semble que la pensée du compositeur anticipe sur l’invention imminente du pianoforte.
Mais le but n’est pas d’entamer un débat musicologique sans doute très utile par ailleurs. Au-delà de la formule un peu sévère des quarante huit préludes et fugues, on découvre des œuvres d’une exceptionnelle richesse. Chaque ensemble est un véritable diptyque. Le prélude entretient de subtils rapports thématiques et formels avec la fugue qu’il annonce. Chaque pièce est habitée d’une personnalité unique présentant l’ensemble comme un tour d’horizon de toutes les émotions humaines. Toujours avec la plus grande pudeur, Bach nous livre ses états d’âme, ses joies et ses peines. Si la virtuosité est présente à tout moment, elle revêt chaque fois un habit nouveau. Les préludes sont ahurissants d’audace et les fugues imprégnées de cette profondeur que seule la musique peut tenter.
Le grand pianiste russe Sviatoslav Richter nous a laissé bien peu d’intégrales. Il n’aimait pas jouer toutes les œuvres d’un compositeur. Il n’était pas non plus un artiste de studio. Un grande part de ses enregistrements est prise sur le vif. Le Clavier bien tempéré fait donc office d’exception. Comme beaucoup de musiciens, il considérait que cet ensemble était le « quotidien » du pianiste. Il le fréquentait tous les jours. L’enregistrement qui nous est parvenu, capté par Le Chant du Monde entre 1970 et 1973 au château de Klesheim à Salzbourg, est aujourd’hui réédité chez RCA. La prise de son, assez sommaire, a été faite sans retouches et est fort semblable à une version publique. Il y a même des endroits où l’on entend les oiseaux du parc… !
Peu importe : l’art de Richter est incomparable. Son toucher tellement typique de l’école russe, sa précision technique et son sens du contrepoint sont incomparables. Il est aussi à l’aise dans les tempi rapides et virtuoses que dans les longues fugues méditatives. Toute la texture de Bach prend ici une dimension unique. Dans un style radicalement opposé à Glenn Gould (qui admirait Richter !), c’est le grand legato qui habite ces pièces. Certains diront que c’est trop romantique pour Bach, je leur répondrai que Bach dépasse les modes et les époques. Il est de tous les temps, il est universel. Entrer avec Richter dans le monde de Bach, c’est suivre un guide dans les profondeurs de Homme.