Fantômes ?

 

Croyez-vous aux fantômes ? Moi en tous cas, je n’y crois pas…quoi que… à y réfléchir de plus près, ces derniers ne sont peut-être pas ceux qu’on pense et ne résident sans doute pas où on croit… alors examinons de plus près cette fascination de l’homme pour le surnaturel et le fantastique qui, par bien des points, trouvent des échos remarquables dans les arts et, bien sur, dans la musique.

 

La littérature fantastique a beaucoup impressionné Robert Schumann, on le sait. Ses Kreisleriana, basées sur les aventures du maître de chapelle fou Kreisler de E.T.A. Hoffmann suffisent à le démontrer. Les exemples se présentent par dizaines lorsqu’on se penche un peu sur la question et il semble que l’attirance de l’homme pour le surnaturel remonte loin dans la préhistoire constituant, peut-être, le fondement des religions et des philosophies.

 

Ce n’est pourtant que dans les années 1960 que les théoriciens de la littérature se sont attachés à définir précisément un genre que le succès rendait trop imprécis. Le sémioticien bulgare Tzvetan Todorov, en synthétisant les travaux de ses prédécesseurs, constate que pour qu’un récit puisse entrer dans la catégorie de fantastique, il doit réunir plusieurs caractéristiques propres. Tout le fantastique est rupture de l’ordre reconnu et doit montrer l’irruption de l’inadmissible. Ce dernier doit se maintenir jusqu’à la fin de l’ouvrage, laissant le lecteur dans l’incertitude. Mais le texte doit aussi représenter les personnages comme des êtres vivants plausibles. Le personnage principal doit lui-même, malgré son caractère réaliste, se mettre à douter entraînant avec lui le lecteur qui s’identifie au héros. Le prototype de ce genre de littérature se trouve justement dans « L’homme au sable » de Hoffmann.


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L’une des œuvres les plus représentatives de cette culture de l’anormal et du surnaturel au XXème siècle se trouve dans « la métamorphose » de Kafka ou un homme simple, une personne comme vous et moi se réveille un matin transformé en un énorme cancrelat, et personne sauf lui, ne semble y attacher d’importance.


La métamorphose de Kafka


Mais il y a aussi Henry James et son fameux « Tour d’écrou », adapté à l’opéra par Benjamin Britten en une œuvre remarquable, l’un des fleurons du genre, d’une extraordinaire efficacité dans un traitement musical extraordinaire.

 

Essai psychologique pessimiste sur la perte de l’innocence de l’enfance au passage vers l’adolescence, le texte de James est ainsi résumé par l’auteur : « A Londres, une jeune gouvernante (son nom n’est jamais précisé) est engagée par un oncle tuteur afin de pourvoir à l’éducation de deux jeunes enfants, Miles, douze ans, et Flora, huit ans, à la condition expresse qu’elle s’occupe de tout et ne fasse appel à lui sous aucun prétexte. Arrivée dans la grande propriété de Bly et secondée par la vieille nourrice, Mrs Grose, elle s’aperçoit assez rapidement qu’un mystère habite se décor fastueux et que ces enfants, aux apparences angéliques, cèlent un inavouable secret : celui de la présence obscure des fantômes de deux anciens domestiques, Peter Quint et Miss Jessel, qui les tiennent plus ou moins sous leur influence et tâchent de les posséder définitivement. C’est ce contre quoi la gouvernante va devoir lutter ».


 Henry James]


Le titre étrange de l’œuvre évoque la manière dont le drame se resserre au fur et à mesure de l’action. La pression psychologique est de plus en plus forte et le lecteur, lui-même, le ressent profondément. Britten utilise dans la musique un leitmotiv de douze sons en spirale qui semble nous entraîner au cœur du mystère. Mais nous parlerons de sa mise en musique dès demain.


Benjamin Britten


Pour l’instant, connaissant la profondeur d’esprit de James et aussi celle de Britten, on peut affirmer que le récit fantastique n’est pas le seul but de l’ouvrage. Ni l’un ni l’autre ne croyaient aux fantômes et ce n’est là qu’une allégorie bien plus profonde de la réalité de l’être qui semble posséder, au fond de lui, Freud ne me démentirait sans doute pas, des craintes et des angoisses profondes. Elles s’illustrent le plus souvent dans ces contres fantastiques qu’il convient, après une lecture au premier degré, de replacer dans la perspective psychologique des archétypes humains. Guy de Maupassant en avait bien saisi l’essence en revenant à la réalité de l’être. Les peurs et les angoisses ne se dissipent pas, elles changent de forme.


 Photo inspirée de The Turn of the ScrewThe Turn of the Screw


« Je n’ai pas peur d’un danger. Un homme entrerait, je le tuerais sans frissonner. Je n’ai pas peur des revenants ; je ne crois pas au surnaturel. Je n’ai pas peur des morts ; je crois à l’anéantissement définitif de chaque être qui disparaît ! Alors !…Oui, alors !…Eh bien ! J’ai peur de moi ! J’ai peur de la peur ; peur des spasmes de mon esprit qui s’affole, peur de cette horrible sensation de la terreur incompréhensible. J’ai peur des murs, des meubles, des objets familiers qui s’animent, pour moi, d’une sorte de vie animale. J’ai peur surtout du trouble horrible de ma pensée, de ma raison qui m’échappe brouillée, dispersée dans une mystérieuse et invisible angoisse ». Guy de Maupassant (1850-1893), Lui ?

 

A suivre…