Avec la rentrée, le marché du disque, lui aussi plongé dans la torpeur de l’été, semble frémir quelque peu. Pourvu que ce soit un bon signe pour les semaines à venir…
Et parmi les parutions toutes récentes, il me faut absolument évoquer une réédition attendue par les mélomanes depuis très longtemps, l’intégrale de l’œuvre d’orgue de Jean-Sébastien Bach par notre organiste national à la réputation mondiale, Bernard Foccroulle.
Je vous l’avoue d’emblée, je ne partage pas tous les partis pris de l’organiste, même quand ils se basent sur les pratiques instrumentales recueillies dans les traités d’époque. Ainsi, je trouve parfois bien agaçante cette manière de mesurer les rythmes de manière inégales (comme, par exemple de jouer un groupe écrit en quatre croches égales presque comme si les notes impaires étaient plus longues que les paires).
J’ai aussi parfois le sentiment que l’obsession de l’ornementation conduit à des incohérences structurelles. Lorsque, par exemple, on décide d’ornementer le sujet d’une fugue il faut également en ornementer les réponses. Le problème est que cette surenchère de trilles, de gruppetti et de mordants est difficilement tenable lors des polyphonies à trois ou quatre voix !
Mais une fois ces réserves bien minimes digérées, l’intégrale de Foccroulle est superbe. Il faut dire que les enregistrements ne se sont pas faits à la légère. Il aura fallu une bonne quinzaine d’années pour réaliser la somme que représentent les 16 cd’s de ce coffret édité chez Ricercar. Et le musicien a parcouru l’Allemagne pour trouver les instruments les plus adaptés à l’exécution de l’œuvre du maître. Ainsi, chaque pièce est jouée sur un orgue historique.
Statue de Bach à Leipzig
« Les documents que nous avons conservés de ses expertises (Bach était un expert « officiel » des orgues) nous permettent de nous faire une idée assez précise des qualités que Bach recherchait dans ces instruments : exigences d’une alimentation en vent de qualité et d’un toucher sensible, recherche des registres destinés à l’accompagnement et à la musique concertante, prédilection pour les jeux riches en harmoniques tels que les gambes, recherche de profondeur et de gravité notamment par les jeux de 32 pieds au pédalier » (Livret du coffret).
Bach, du reste, fréquentait des facteurs d’orgue de grand talent tels que Gottfried Silbermann et son disciple Zacharias Hildebrandt. Tout au long de ses voyages, Bach s’exerça sur de nombreux instruments. Et si plus rien ne persiste des orgues que Bach utilisait à Leipzig, l’Allemagne du nord, la Thuringe et la Saxe regorgent d’instruments parfaitement adaptés à son écriture même si le compositeur ne les a pas fréquentés. Ainsi, pour les œuvres attribuées à Bach (mais qui ne sont peut-être pas de sa main), l’interprète et son directeur artistique Jérôme Lejeune, impliqué depuis toujours dans les remarquables publications du label Ricercar, ont même utilisé un instrument moderne issu de la fabrique d’orgue wallonne Thomas à Spa). C’est le nouvel instrument de l’Abbaye de Leffe (1996), une copie d’un orgue de Silbermann, qui est utilisé.
Orgue Thomas de l’Eglise abbatiale de Leffe (1996)
Cette intégrale était parue à la fin des années 90, mais retirée de la distribution depuis bien longtemps. Je m’étais laissé dire que Bernard Foccroulle, non satisfait d’un des cd’s du coffret, avait le projet de le refaire. Mais, comme on le sait, sa carrière s’est tourné vers la direction du Théâtre de la Monnaie pendant plusieurs années avant d’être, aujourd’hui, directeur du Festival d’Aix-en-Provence. Sa disponibilité instrumentale s’est sans doute fortement réduite. On constate donc avec plaisir que Foccroulle s’est bien remis au travail de l’instrument puisque la fin du cd 12 a été enregistrée en 2008. On peut donc affirmer que cette intégrale est l’œuvre d’une vie, tant pour le compositeur que pour l’interprète.
Cette interprétation de l’un des plus grands corpus de l’histoire de la musique reste à ce jour l’une des plus modernes, servie tant par de superbes prises de son que par de véritables trésors de sonorités. Une formidable spiritualité se dégage de toutes les œuvres, même de celles qui se trouvent dans un registre profane (mais par essence, l’orgue s’implique toujours dans le cadre religieux). Sans reléguer au placard les légendaires versions de Walcha, Chapuis, Alain ou Isoir, le Bach de Foccroulle mérite une place de premier choix au sein de la discographie.