Transpositeurs ?

 

Laissons quelques temps les gares et les trains. Il va sans dire que le texte qui parlera du chemin de fer dans la musique ne sera publié qu’après le concert de l’Orchestre Philharmonique de Liège. Je ne dévoilerai donc pas maintenant les commentaires que je ferai lors la séance d’inauguration.

 

Je vous parlais aussi des instruments de musique et cette « saga » de l’été est loin d’être terminée ! Mais je vous promets depuis des semaines un petit commentaire sur ce que l’on nomme les instruments transpositeurs. Un éclaircissement de cette difficile notion musicale permettra, je l’espère, de mieux comprendre l’une des caractéristiques principales des instruments à vent. Mais d’abord, qu’est-ce que la transposition ?

 

La transposition est le principe qui consiste à jouer un morceau de musique dans une tonalité différente de celle que le compositeur a désigné. Et d’emblée, cet aspect des choses est à discuter. Pourquoi ne pas s’en tenir à la tonalité définie par la partition. Il existe de multiples raisons qui forcent les musiciens à changer la hauteur d’un morceau entier (car ce n’est possible que sur un morceau entier). La pratique est courante chez les chanteurs et les instrumentistes qui désirent qu’un morceau soit adapté à sa propre tessiture. Un seul cas suffit à illustrer ce désir. Lorsqu’un baryton prend une mélodie (Lied) de Schubert, par exemple, qui est écrite à l’origine pour ténor, il ne peut évidemment pas la chanter. Pourtant, Schubert, qui comprenait et pratiquait déjà la transposition aimait à l’entendre aussi à une voix plus grave ou plus aigue. Alors on transpose la mélodie dans le registre de la voix concernée. Cela suppose un changement de tonalité. Imaginons une mélodie écrite en do majeur et adaptée au ténor. Pour la rendre accessible au baryton, il faudra l’abaisser légèrement, d’une tierce par exemple. Le baryton la chantera donc en la majeur.

 

Une autre application se trouve chez les improvisateurs qui peuvent avoir intérêt à jouer un thème musical dans plusieurs tonalités au cours d’une même prestation. Ils travaillent donc aux différentes transpositions d’une phrase musicale qui leur permettra de donner du corps à leur morceau tout en gardant une thématique unique et identique. C’est transposer pour moduler (passer d’une tonalité à une autre).

 

Mais la transposition est surtout indispensable aux instruments à vent. Dans les grandes familles (plusieurs types d’instruments pour un même nom, comme les clarinettes ou les trompette), les instruments font entendre aux auditeurs une note qui est différente de celle écrite sur la partition. Les instruments transpositeurs simplifient largement la vie des instrumentistes. Prenons l’exemple des flûtes. Il en existe de différentes tailles. Il y a la flûte traversière traditionnelle, le piccolo et la flûte alto en sol. Comme c’est souvent le même musicien qui joue chacun des instruments et que la longueur du tuyau est chaque fois différente (lorsque tous les trous sont bouchés et que l’air vibre dans le tuyau entier), la note produite n’est pas la même pour chaque flûte. Il faudrait donc une technique de doigtés différente pour produire les mêmes notes sur ces instruments variés. Or, il n’en est rien. Les doigtés de chaque flûte sont identiques. Le même musicien peut donc jouer également l’une ou l’autre. Mais c’est au niveau de l’écriture que cela change.


 

Instruments transpositeurs 3
 


 

Quand le musicien jouera le doigté de do sur la flûte traversière en do, l’auditeur entendra do. Mais s’il joue le doigté de do sur la flûte en sol, on entendra sol. Autre exemple : quand la clarinette en si bémol joue do, on entend si bémol… et ainsi de suite pour chaque type d’instrument. L’intervalle de décalage entre l’instrument normal écrit en do (toutes les cordes, le piano, la harpe, l’orgue, …) et l’instrument transpositeur est contenu dans son nom. Ainsi on parlera de clarinette en la, de cor en mi, de trompettes en fa ou encore de saxophone en si bémol. Cela signifie chaque fois que quand le musicien joue le doigté de do, on entend la note accolée à son nom.


 

Transposition do ré 3

Dans l’exemple ci-contre, tout sonne réellement do-ré, mais vous voyez que la clarinette en si bémol joue les doigtés ré-mi


 

Les partitions de ces instruments sont donc écrites en fonction du doigté qu’elles jouent et pas de la note réellement entendue. Ce système ne simplifie pas la vie de tout le monde. Les compositeurs, les chefs d’orchestre et tout lecteur d’une partition comportant ce genre d’instruments doivent donc faire attention, à l’écriture ou à la lecture, à l’écart existant entre la note écrite et la note réelle. Il faut donc transposer en permanence.

 

Bien conscients de ce problème, certains compositeurs du XXème siècle (Prokofiev, entre autres) eurent l’idée d’écrire les partitions d’orchestre complètement en ut tout en laissant le matériel d’orchestre dans sa version transposée. Hélas, cela demande un travail trop important pour les éditeurs qui doivent refaire les parties. Cela rend très onéreuse la partition complète d’une symphonie ou d’un opéra. Cette bonne idée ne s’est donc pas généralisée et le lecteur doit donc maîtriser la transposition afin de déchiffrer correctement la musique (je rappelle que cela n’intervient pas dans les partitions de piano qui sont en ut).

 

Les cas les plus simples restent les musiques de chambre pour un instrument en ut (piano) et une clarinette. La lecture du piano est normale, la clarinette est à lire une seconde majeure plus grave que son écriture. Observez la conséquence immédiate : l’armure des deux instruments est différente. Pour bien lire une transposition, il faut changer la clé (c’est d’ailleurs l’une des applications les plus spectaculaires des sept clés idéalement apprises au cours de solfège !) et adapter les altérations accidentelles au parcours de la mélodie. A titre d’information, voici le tableau des instruments transpositeurs, les intervalles de transposition, la clé dans laquelle elle est écrite et la clé à utiliser pour sa lecture.


Instruments transpositeurs 1
 Instruments transpositeurs 2


 

Rassurez-vous si vous n’y comprenez pas grand-chose ! La maîtrise de l’exercice demande beaucoup d’entraînement et une connaissance parfaite de toutes les clés. Sachez cependant que la plupart des instrumentistes transpositeurs sont capables de transposer à vue n’importe quelle partition ! Il me fallait cependant bien aborder ce sujet pour que les instruments à vent puissent être bien compris.