Le goût du voyage !

 

Ce n’était évidemment pas un hasard si je vous proposais hier une citation de l’architecte Santiago Calatrava. En effet, le week-end prochain, les liégeois (et sans doute beaucoup d’autres !) pourront enfin fêter l’inauguration de leur nouvelle gare des Guillemins, œuvre particulièrement remarquable du célèbre artiste espagnol. A cette occasion unique les visiteurs pourront, entre autres, visiter les infrastructures toutes neuves, profiter d’un grand spectacle son et lumière du célèbre (lui aussi !) Franco Dragone vendredi soir et assister à un concert exceptionnel et insolite de l’Orchestre Philharmonique de Liège placé sous la direction de Jean-Pierre Haeck … sur le quai n°1 de la gare ! Non, vous ne rêvez pas ! L’orchestre sera vraiment sur le quai pour interpréter des œuvres qui, d’une manière ou d’une autre, ont rapport avec le chemin de fer. Je serai également de la fête puisque j’aurai l’immense honneur et le plus grand plaisir à présenter ce concert singulier en compagnie de l’orchestre et de son chef. Je m’en réjouis d’avance, vous vous en doutez ! C’est aussi l’occasion de vous proposer quelques petits textes qui évoqueront le train et la gare au sein des œuvres d’art. Mais d’abord, quelques réflexions puisées un peu au hasard de mes divagations…


 

Gare_Guillemins_Calatrava
 


 

Vous avez sans doute pu le constater dans le propos de Calatrava, l’homme est avant tout un artiste qui met la technique (et l’architecture ne peut aucunement exister sans elle) au service de l’émotion et de l’esthétique. Ce qui frappe, en premier lieu, en regardant la gare, c’est la dynamique de la construction qui semble perpétuellement en mouvement. L’art des courbes et des contrecourbes, l’apparente légèreté de l’édifice pourtant monumental et ce blanc accentuant encore l’impression de suspension laisse le sentiment d’un bâtiment qui ondule au gré du vent ou des déplacements de l’air. La recherche de rythme et de mouvement est une des principales préoccupations de l’architecte qui, de ce point de vue, doit beaucoup à l’art baroque et à Gaudi. Mais entendons-nous bien, Calatrava n’a rien d’un néo-baroque. Il aime insuffler le mouvement dans des œuvres dépouillées, minimalistes même dans une certaine mesure.

 

Cette dynamique correspond à plus d’un titre au concept d’une gare ferroviaire. Plusieurs éléments doivent permettre bien comprendre la démarche complexe qui accompagne la création d’un édifice destiné au trafic des voyageurs. Ce n’est pas la même démarche que celle de la construction d’une tour à appartements ou à bureaux … Dans une gare, le mouvement est partout et toujours. Peu de gens passent leur vie dans une gare. Beaucoup, par contre, y passent. Des dizaines de milliers de personnes par jour entrent dans le hall, se pressent sur les quais, montent dans le train.

 

En ce sens, la gare peut représenter le cauchemar quotidien de ses usagers. La promiscuité, le brouhaha, les horaires (respectés ou non !), les courants d’air, bref tous ces éléments qui génèrent immanquablement du stress. Dans la gare, tout va vite ! L’agitation des passagers est encore renforcée par l’arrivée de la machine infernale. Ce monstre de fer (et de technique !), s’il a toujours fait rêver les petits et les grands, est d’une banalité affligeante pour le navetteur qui l’utilise tous les jours. J’en connais même qui en sont venus à détester les trains ! Bref, la gare, cela peut être intenable ! Mais c’est tellement pratique !


 

Gare, Quai, affluence
 


 

Depuis que les premières tentatives pour réaliser un transport par rail ont vu le jour, l’homme s’est mis à rêver de vitesse. Imaginez les premiers trains tirés par des chevaux, l’apparition des machines à vapeur, d’une vitesse considérable pour l’époque dans les années 1840 et tous les progrès que nous avons connu depuis ! Toutes ces aventures ont également fait rêver les artistes. Que ce soient chez les peintres, les auteurs, les architectes ou les musiciens, de nombreuses œuvres ont honoré et honorent toujours le train et la gare, nous en reparlerons bientôt.


 

Turner
 William Turner, Pluie, vapeur et vitesse en 1844


 

Le train et son gigantesque réseau de vois ferrées qui parcourent le monde dans tous les sens possibles est l’une des plus fantastiques inventions de l’homme. Combien de millions de litres de carburant faudrait-il pour transporter tous ces gens vers leur destination en voiture ? Quelle pollution générerait le transport individuel ? Combien de kilomètres de bouchons aurait-on quotidiennement sur nos routes (ce n’est déjà pas mal comme cela !) ? Bref ce transport en commun est très efficace et souvent plus rapide que n’importe quoi d’autre.

 

Et puis le train, c’est « déjà un goût de voyage » (comme disait un ancien slogan de la SNCB (Société Nationale des Chemins de fer Belges, pour les lecteurs étrangers). Pas besoin de garder votre attention en éveil. Le train, on y dort, on y lit, on y bavarde, on y joue aux cartes, … aujourd’hui, du moins ! Parce qu’on l’a bien compris, augmenter le nombre de passagers implique un degré de confort en perpétuelle évolution. Les voitures des grandes compagnies sont désormais plus silencieuses ? Les banquettes sont confortables et les wagons sont même équipés de l’Internet sans fil. Et puis, il y a les trains qui font vraiment rêver avec leur luxe et leur pittoresque. Pensez au fameux Orient Express, au transsibérien, aux trains de montagne ou aux convois surchargés de l’Inde ou de l’Afrique aux mille couleurs !


 

Wagons-lits 2
 


 

Le confort passe aussi par la vitesse. Cette dernière a toujours fasciné l’être humain. De tous temps, l’homme a voulu aller plus vite … et cela au point d’en faire des obsessions ! On a bien oublié que la première liaison ferroviaire Bruxelles-Paris  assurée dès 1846 par deux trains journaliers mettait respectivement 12H30 le jour et 14H la nuit entre le départ et le terminus. Aujourd’hui, les trains à grande vitesse relient les deux capitales en moins de deux heures. Et si la ligne qui relie Paris à Cologne via Bruxelles, Liège et Aix-la-Chapelle (assurée par le fameux Thalys) est possible (mais pas encore exploitée) dès 1843, c’est dire l’énergie que les gouvernements belges ont mis dans le rail depuis le début de l’aventure le 5 mai 1835, jour béni qui vit la première liaison de trains de passagers à vapeur en Europe continentale entre Bruxelles et Malines.


 

TGV
 


 

Et liège, dans tout cela ? Et bien, dès le début, notre bonne ville est considérée comme un endroit stratégique, un carrefour international reliant les deux grands pays que sont l’Allemagne et la France. Ce fut toujours la chance et le malheur de Liège de se trouver géographiquement, géopolitiquement et culturellement à cet endroit particulier. Ainsi dès 1855, la liaison Liège Paris était assurée via Charleroi. C’est chez nous aussi que fut constituée la très célèbre Compagnie des wagons-lits en 1872 par l’homme d’affaires Georges Nagelmackers qui s’inspirât des trains de nuit américains. En bref, le train, à Liège ça nous connaît !


 

Wagons-lits 1
 


 

La première gare de Liège ville date de 1842. Elle fut construite sur le site de l’ancien couvent des Guillemites et tire son nom « Guillemins » des anciens occupants du lieu. Provisoire, elle était construite en bois car les autorités communales avaient l’ambition de la déplacer au centre de la ville, tout près du Palais des Princes-Evêques. L’Etat belge ne l’entendant pas de la sorte refusa le projet. Et dès les années 1880, on construisit une gare définitive s’inspirant de l’architecture de celle de Paris-Nord. C’est cet édifice qui sera restauré en prévision de l’Exposition Internationale de Liège en 1905.


 

Gare_Guillemins_1905
 


 

Suite à l’électrification des lignes et pour la nouvelle Exposition Internationale de Bruxelles, la gare fut détruite et remplacée par un édifice moderne en 1958 sur le modèle de la gare Termini de Rome.
Bien qu’endommagée par l’explosion d’une bombe lors des grandes grèves de 1960, elle resta en service jusqu’en 2007.


 

Gare des Guillemins 1970
 


 

Mais l’infrastructure ne correspondait plus aux exigences des trains à grande vitesse et le bâtiment était dans un état de délabrement assez avancé (avec, en plus, présence d’amiante dans ses structures). Puisque Liège restait un carrefour essentiel, il fallut à nouveau investir pour accueillir les passagers dans des conditions de confort moderne et adapté à notre époque. Après un concours international, c’est le projet de Santiago Calatrava qui a été retenu. Son expérience des gares (Zürich, Lyon et Lisbonne en Europe), la célébrité de l’homme et la séduction de sa maquette ont probablement contribué au choix des autorités.

Calatrava Guillemins


 

La nouvelle gare qui sera donc inaugurée les 18 et 19 septembre 2009, s’inscrit dans un projet de rénovation totale du quartier des Guillemins (qui en a bien besoin !). Le chantier de la seule gare a duré une bonne dizaine d’années La gare de Liège est la seule d’Europe à posséder un accès autoroutier direct. Elle devrait contribuer à dynamiser la ville qui en a bien besoin.