Chant d’amour

 

Frédéric Chopin (1810-1849), on le sait, a confié la plus grande partie de son œuvre au piano solo. Et même lorsqu’il utilise à l’occasion l’orchestre ou d’autres instruments, son instrument fétiche occupe toujours une place de choix. Il en est ainsi forcément des concertos, mais aussi des rares musiques de chambre qu’il nous a laissées.

 

Et pourtant, s’il est un instrument qui a séduit le compositeur polonais, c’est sans doute le violoncelle. Il est fort probable que ce sont les capacités mélodiques proches du chant du violoncelle qui décidèrent Chopin à composer une superbe sonate (en sol mineur op. 65). Elle est aujourd’hui devenue l’un des piliers du répertoire des violoncellistes et occupe une place d’honneur entre les œuvres de Beethoven, de Mendelssohn et de Brahms. Elle fut composée entre 1845 et 1846 et fut créée chez lui l’année suivante. Ce fut l’une des œuvres que le compositeur joua encore lors de son dernier concert à Paris en 1848. Il n’exécuta cependant que les trois derniers mouvements, le premier désormais trop ardu pour un homme épuisé et très malade (il faut dire que le premier mouvement dure aussi longtemps que les trois autres réunis !).


 

Chopin 3


 

La sonate pour violoncelle est la dernière des quatre œuvres de ce type composées par Chopin. Les trois sonates pour piano se complètent donc tardivement par ce bijou extraordinaire qui donna beaucoup de fil à retordre à un artiste depuis longtemps habitué à la composition d’œuvres pour son seul instrument. Durant le travail de composition, il confiait à sa sœur : « J’écris un peu et je raye beaucoup ». Les nombreuses esquisses qui nous sont parvenues en témoignent largement. Toujours est-il que sans renoncer à son style mélodique et harmonique, la sonate témoigne d’un souci de maîtrise de la grande forme (la sonate) et du contrepoint.


 

 Natalia Gutman et Sviatoslav Richter


 

Le bref et magnifique Largo qui fait office de troisième mouvement (en si bémol majeur) ne pourrait être qu’un bref intermède aux couleurs automnales. Pourtant, il dévoile tout le style de Chopin influencé d’abord par la ligne mélodique issue en ligne directe du bel canto italien. Avec ses ornements particuliers, son ambitus souple et sa forte résonance émotionnelle, la mélodie de Chopin est très proche des plus grands airs de Bellini. Pourtant, ici, ce chant se répartit entre le violoncelle et le piano en un duo d’amour particulièrement émouvant.


 

Chopin, Sonate violoncelle IIa
 


 

D’abord, le piano mesure le temps par des arpèges bien réguliers pendant que le violoncelle entame son énoncé mélodique. Pourtant, dès la troisième mesure, les rôles s’inversent et le piano lui répond en reprenant exactement le même propos. Comme deux amoureux qui se disent tout simplement : « Je t’aime ». Pendant quelques temps, ce va et vient entre les deux protagonistes se poursuit. Chopin utilise, pour éviter la redondance, le principe du raccourci (le piano ne rendant que la dernière mesure du violoncelle). Mais cette élision partielle ajoute aussi comme un écho de ce ces deux âmes en parfaite fusion. Au centre du mouvement, le violoncelle reprend l’initiative et déploie une progression harmonique en crescendo sur les basses plus agitées du piano. Le tout aboutit en quelques instants au retour du chant d’amour où les rôles s’échangent à nouveau. Une dernière insistance du violoncelle comme en extase conduit à la coda pendant laquelle, ensemble, les deux instruments laissent la musique s’évaporer et le temps se dissoudre.


 

Chopin, Sonate violoncelle IIb
 


 

Un moment formidable de musique pure à écouter sans modération !