Polyphonie flamande

Il y a quelques jours, je donnais un cours sur l’histoire de la polyphonie en insistant, comme il se doit, sur la riche musique des compositeurs franco-flamands qui avaient excellé dans les structures contrapunctiques les plus diverses.

Et voilà que quelques jours plus tard, le label Ricercar, dont j’ai souvent commenté les excellentes sorties discographiques, fait paraître un magnifique coffret consacré à cette même polyphonie. Physiquement d’abord, le box séduit par son luxe qui en fait un bel objet, ce les éditeurs de cd’s ont souvent oublié. Car plutôt que de placer des photos retouchées des vedettes du clavier, du violon ou du chant, Jérôme Lejeune, le patron et directeur artistique du label préfère faire appel à une iconographie directement en rapport avec le contenu du coffret. C’est ainsi qu’il a placé les anges musiciens du fameux «Agneau mystique » des frères Van Eyck que je commentais récemment sur ce blog.

 

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Encore faut-il noter que cette musique flamande désigne un terme générique de compositeurs qui sont nés pour la plupart dans le nord de la France et sur l’actuel territoire de la Belgique. N’en déplaise aux nationalistes d’aujourd’hui, de nombreux compositeurs originaires du Hainaut et de la Principauté de Liège figurent au rang des grands génies flamands de cette musique qui va rayonner sur la culture occidentale. L’école franco-flamande s’étend sur toute la période 1420-1600 en cinq générations successives de compositeurs.

Superbe appel à entrer à l’intérieur de ce monde musical, cette somme de huit cd’s agrémentés d’un ouvrage richement illustré et remarquablement documenté, de la main du même Jérôme Lejeune, étudie et résume l’histoire de la polyphonie flamande depuis ses origines archaïques que l’on trouve dans l’ars subtilior de Johannes Ciconia.

À la faveur des troubles, générés par la Guerre de Cent ans, qui règnent en France à la fin du Moyen Âge, la culture musicale se déplace dans les régions plus paisibles du nord de la France, de la Flandre ainsi que de la Bourgogne dont la cour rayonne alors de tous ses feux. Les musiciens de partout se rencontrent (flamands, français, bourguignons et anglais) et contribuent aux échanges et à la diffusion de musiques nouvelles. Les maîtres, Guillaume Dufay (1400-1474), Johannes Ockeghem (1425-1497) et Josquin des Prés (1440-1521), formés au cœur de cette effervescence culturelle vont dépasser les limites de l’Ars nova et subtilior et porter la polyphonie et l’art du contrepoint à ses plus hauts sommets dont Roland de Lassus ((1532-1594) sera le dernier représentant.

Le grand épanouissement de la polyphonie franco-flamande s’amorce avec Guillaume Dufay (1400-1474) formé à la maîtrise de Cambrai. À peine formé, il voyage en France et en Italie où il est appelé à la chapelle du pape à Rome. L’œuvre de Dufay ouvre la voie à un renouvellement de la polyphonie. En épurant les lignes mélodiques de l’excès de l’ornementation de l’Ars subtilior et en donnant plus de rigueur à l’écriture musicale. Il abandonne la stricte isorythmie (répétition régulière d’une même formule rythmique) pour l’emploi d’une plus grande diversité de rythmes.

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Guillaume Dufay dans un ouvrage enluminé vers 1450.

Les musiciens des maîtrises du Nord (J. Obrecht, J. Desprez, J. Ockeghem, …) demandés partout, mais c’est l’Italie qui attire surtout les plus talentueux. Les princes et les grands seigneurs, influencés par la cour papale (Avignon puis Rome), veulent donner du faste à leur chapelle et à leur cour. Par ailleurs, le XVe siècle voit un retour à la dévotion religieuse comme le montre la prolifération des chapelles privées dans les cours princières. Ce mécénat privé stimule le développement musical dans toutes les branches du répertoire ainsi que le montre la profusion des motets, des messes polyphoniques qui foisonnent à l’époque.

Ce sont la messe et le motet qui constituent les deux formes principales de la musique religieuse. Les compositeurs enrichissent la polyphonie en développant les procédés du canon et de l’imitation, ils renversent les thèmes, les développent par augmentation ou diminution, font circuler une même ligne mélodique d’une voix à l’autre, etc.

 

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Josquin desprez, manuscrit de la Missa beata virgine.

À partir de Dufay, les compositeurs commencent à penser la messe (composée de diverses parties) comme une œuvre unitaire (l’exemple de Guillaume de Machaut et de sa Messe de Notre-Dame avait été une exception au siècle précédent). La manière la plus courante de procéder consiste à employer un thème commun pour toutes les parties de la messe. Ce thème est emprunté au répertoire religieux autant que profane. Il devient le cantus firmus. (ligne mélodique de valeurs longues sur laquelle se construit une polyphonie). Ainsi, la chanson l’Homme armé a servi de cantus firmus à plus de 60 messes. Mais le thème de départ peut aussi être inventé.

 

La chanson profane « l’Homme armé » qui sert de cantus firmus

à la Messe de « l’Homme armé » de Dufay ci-dessous.

 

 

 

Mais les thèmes profanes sont de plus en plus présents dans les oeuvres religieuses et rapidement, on découvre des chansons grivoises qui servent de cantus firmus à des messes entières. Les autorités religieuses ainsi que les théoriciens puristes sont irrités par cette pratique et profiteront profiteront du Concile de Trente pour interdire les messes parodiées (1545), ce qui aura pour effet de faire disparaître purement et simplement les messes à cantus firmus.

Mais cette grandeur polyphonique ne touche pas que la musique sacrée. Les chansons polyphoniques bénéficient de tout cet apport savant et expressif. La fameuse « Nymphe des bois » de Josquin Desprez (1440-1521), déploration sur la mort de J. Ockeghem (1425-1497), est un exemple génial de pièce profane utilisant parfaitement toutes les techniques polyphoniques.

 

Autour de l’année 1600, le style franco-flamand s’était largement diffusé à travers toute l’Europe. L’âge d’or des compositeurs italiens allait commencer.

On le voit, ce coffret ne manque pas d’attraits et les interprétations sont toutes issues d’ensembles spécialisés qui chantent cette musique avec autant de passion que de clarté. Parmi les noms les plus connus, on trouve la fameuse Capilla flaminca, la Capella pratensis, Diabolus in musica, Vox luminis, l’Ensemble organum, … bref, du très beau monde. Un magnifique coffret pour se faire plaisir et découvrir l’une des périodes les plus riches de notre musique… Indispensable!