Hier, l’exposition Jean Del’Cour s’est achevée à l’église Saint Barthélemy de Liège. Notre gloire locale aura eu un franc succès. Il aura bénéficié de nombreuses manifestations (visites guidées, conférences, …). Ce n’est que justice. L’un de nos plus grands sculpteurs baroques doit passer à la postérité. A plus d’un titre il méritait cet événement important.C’était aussi pour moi l’occasion de me replonger dans la musique de la fin du XVIIème siècle lors de conférences diverses. 2007 était aussi l’année Buxtehude, exactement contemporain de notre artiste liégeois. Cette récapitulation musicologique m’a amené à quelques reflexions d’ordre esthétique et philosophique sur la musique baroque.D’abord, il ne faut jamais perdre de vue que toute la pensée baroque est d’abord religieuse. La Contre-réforme et son besoin de replacer Dieu au centre des aspirations spirituelles des hommes a utilisé l’art d’une façon magistrale. Il fallait montrer la puissance divine dans des édifices massifs et écrasants. Il était également utile de "moraliser", de faire passer un message évangélique qui allait utiliser une rhétorique forte et simple. L’architecture des jésuites, si typique du premier baroque était conçue pour dévoiler ce message.
Ancienne église de l’Immaculée Conception (Liège, rue Hors-Château, XVIIème siècle)
Les sous-bassements sobres et solides marquent un ancrage bien visible dans le sol, symbolique de la terre et de l’humanité. Au fur et à mesure que la façade s’élève, elle semble s’alléger en différentes "strates" horizontales. Plus on monte, plus elle s’ornemente et plus elle semble se dématérialiser dans…le ciel. Cette symbolique de l’envol de la terre vers le ciel est encore renforcée par les lignes verticales qui nous transportent vers les hauteurs. Le véhicule de cette ascension n’est rien d’autre que la conjonction entre verticalité et horizontalité, c’est à dire la Croix. Le message chrétien est efficace.
Ce grand mouvement ascendant est aussi la preuve que l’art baroque est celui du geste. Il vise à fixer pour l’éternité un instant mais doit laisser supposer ce qui le précède et ce qui le suit. L’ornementation est alors d’un grand secours. N’oublions pas que le mot "baroque" provient du portuguais "barocco" qui désigne une perle irrégulière. Le mouvement est donc toujours présent dans l’esthétique de cette époque. Nous le voyons aisément dans "Apollon et Daphné" du Bernin. La métamorphose de Daphné est saisissante. Elle est toujours femme, mais on la sent déjà devenir arbre.
Quant à St Jacques le Mineur, de Jean Del’Cour, il semble n’être déjà plus de ce monde grâce au mouvement extraordinaire de son drapé, de ses pieds qui se détachent progressivement du sol et de son visage désormais tourné vers le ciel.
La recherche du mouvement nous conduit à une conséquence majeure du style baroque. La couleur se substitue au trait et au dessin. La symbolique des couleurs joue alors une fonction magistrale. Elle devient expression à part entière et semble déborder du dessin.
Descente de Croix de P.P. Rubens
L’art est aussi le reflet de la pensée et de la conception du monde de l’artiste. L’époque baroque voit de sérieux progrès en mathématiques et en astronomie. Le modèle héliocentrique se généralise et Kepler découvre le mouvement elliptique des planètes. Les artistes appliquent ces principes au profit d’une symbolique rhétorique. Observons le Christ mort que l’on descend de la croix. C’est un cadavre, mais, à l’image du soleil, c’est lui qui éclaire la scène. Le Dieu de lumière est entouré des comparses qui se disposent autour de leur soleil comme autant de planètes en un mouvement elliptique remarquable. Tout, la construction, les gestes, les couleurs et la symbolique cosmologique déploie le message de l’artiste.La musique est art du temps. Cependant, elle semble obéir aux mêmes lois esthétiques. La
basse continue, caractéristique du baroque, en est la solide fondation. Les autres voix et instruments sont autant de couches qui s’allègent et s’ornementent pour atteindre le ciel. Le geste est par essence présent dans la musique mais est encore accentué à cette époque par la virtuosité en plein essor dans le "stylus phantasticus" (Biber par exemple). Quant à la couleur, elle se traduit par une orchestration de plus en plus riche. Le choix des instruments devient primordial et la fusion des timbres engendre la couleur. La rhétorique n’est pas en reste dans la musique. Le choix des tonalités, des mouvements de la mélodie et des motifs signifiants sont l’objet de savants traités. Vous pouvez écouter tout cela dans tous les domaines de la musique de Monteverdi à Bach. Alors, tendez l’oreille et entrez dans le monde merveilleux de la musique baroque…!
Belle conclusion pour cette expo d’un sculpteur de chez nous ! C’est bien aussi de nous » ré exposer » les grandes lignes de l’art baroque avec cette excellente synthèse. Merci à vous de nous faire partager votre passion de la musique lors de vos cours à l’U3a où j’ai un plaisir immense à découvrir des oeuvres cent fois entendues… certes…mais enfin grâce à vous à les écouter différemment, à les comprendre et à les ressentir ….