Je me demande parfois ce que les musicologues et les théoriciens de la musique ont contre certains compositeurs. En règle générale, les musiciens qui n’ont pas adhéré aux courants d’avant-garde du début du XXème siècle (musique sérielle, …) sont considérés comme des pestiférés par une certaine « intelligentsia ».
C’est le cas de nombreux compositeurs post romantiques russes dont font partie Rachmaninov, Schostakovitch et Khatchaturian. Ces derniers n’ont en effet pas renoncé complètement au système tonal tant méprisé par les théoriciens modernes. Il est bon aujourd’hui de se demander pourquoi ces grands artistes ont continué contre vents et marées à utiliser un langage périmé.
A la veille d’une conférence à Wavre sur le deuxième concerto pour piano de Rachmaninov (oui, il y a des choses à dire sur ce célébrissime best seller de la musique !), je me suis replongé avec la plus grande émotion dans les méandres de la pensée du grand virtuose du piano et, je n’ai pas été déçu.
Impressionnable, angoissé et introverti, Rachmaninov a trouvé son naturel dans le langage post romantique. Sa musique est le reflet de cette grande sensibilité. Certaines de ses œuvres figurent parmi les plus jouées aujourd’hui (Deuxième et troisième concertos, deuxième symphonie, Rhapsodie sur un thème de Paganini, …) et …les plus appréciées du public. Ce n’est que justice !
Quelques constantes font son style : la symbolique des cloches, le thème du Dies Irae, le rythme fatidique du destin et les longues phrases lyriques infinies qui se génèrent au fur et à mesure qu’elles se déroulent. L’attachement à la grande forme traditionnelle illustre un propos souvent tragique et épique. Pourtant, son langage est aussi rempli de couleurs harmoniques toutes particulières et d’un usage intensif de la dissonance. Cette dernière n’est pas utilisée comme une fin en soi, mais sert un propos expressif. En retardant la conclusion consonante d’une phrase, il accentue le tragique, le mélancolique, parfois même le pathétique
Le deuxième concerto, est, pour lui une sorte de thérapie. Suite à l’échec de sa première symphonie de 1895-97, Rachmaninov souffre d’une grave dépression. « Quelque chose s’était brisé en moi…après des heures d’interrogations et de doute, j’en étais arrivé à la conclusion que je devais abandonner la composition… Une profonde apathie s’empara de moi. Je passais la moitié de mes journées étendu sur mon lit, à soupirer sur ma vie ruinée » Rachmaninov (1897)
Il accepte enfin l’aide du docteur Dahl, un neurologue adepte des traitements par l’hypnose (très à la mode en ce tournant de siècle) et mélomane averti. Celui-ci le remet sur pied et lui rend la confiance nécessaire à la reprise de ses activités. Il écrit alors avec facilité ce magnifique concerto qui retrace cette sortie des ténèbres.
La critique sera moins enthousiaste que le public : « Le deuxième concerto ressemble à un banquet lugubre de confiture et de miel. Il y a toujours dans la musique de Rachmaninov quelque chose d’étrangement redondant…Ce qui ne l’empêche pas de faire joujou avec le piano et de composer des pièces fidèles au bon vieux style bondissant. Il fut un temps où ses œuvres avaient une raison d’être. Ce temps est révolu. Aujourd’hui, Rachmaninov nous apparaît comme un très aimable et très charmant fantôme. » Paul Rosenfeld, The New Repuplic, 1919.
« Je n’ai aucune sympathie pour le compositeur qui produit des ouvrages selon des formules ou des théories préconçues. Ni pour le compositeur qui écrit dans un certain style parce que c’est la mode de le faire. » Rachmaninov
Quant au public, il ressentira le parcours humain avec plus de simplicité. Il repérera la texture orchestrale dense et lyrique, il vibrera au passage des grandes coulées mélodiques, il sentira au plus profond de lui-même les larmes, les glas et cet éternel retour d’un « dialogue du passé et du présent » J. E. Fousnaquer, Rachmaninov, Paris, Seuil, 1994, p. 62.
Tout en étant une pièce d’une grande difficulté technique, le concerto ne tombe jamais dans la démonstration pianistique. Pas ou peu de cadences, la virtuosité est avant tout intégrée aux parties d’orchestre et la piano est une voix parmi d’autres. Autant symphonie que concerto, il reste l’une des œuvres du maître russe à ne pas bouder. Laissons-nous aller et écoutons avec notre cœur… n’est-ce pas cela la musique ?
Très Cher Collègue ! (oui oui, c’est moi, ta collègue electro/pop/ambiance). Quel bonheur de découvrir ton blog conseillé par Rebecca ! Je sens que je vais venir le visiter plus que régulièrement. Même si je ne sais plus venir à tes merveilleuses conférences, ceci rattrapera un peu cela. Aaah, si tous les blogs étaient de ce niveau… Bonne soirée !!! Laurence
….mais bien sur que Rachmaninov est un immense compositeur…. il suffit d’écouter la fin du 3ème concerto pour piano (que personellement je préfère de très loin au second) pour se sentir emporté loin, très loin. Pour apprécier cette musique, il faut se laisser bercer hors du temps, se laisser toucher…. cette musique alors entre en vous et vous parle de choses très profondes.
Rien à ajouter, ces compositeurs sont fabuleux, à entendre et à entendre…la Musique Classique et l’Opéra sont une partie de ma vie, je ne m’en lasse jamais, j’ai usé mes jupes à la Monnaie et aux Beaux-Arts…et à l’étranger, une passion dévorante…écouter avec notre coeur et des larmes de joie et d’émotion…Sympathie au musicologue d’une mélomane…