D’habitude, je ne suis pas un amateur de livres consacrés à la photographie. Pourtant, depuis peu, l’émotion générée par certaines images m’interpelle. Les magnifiques éditions Phaidon viennent de faire paraître un nouvel album de photographies du célèbre portraitiste Steve Mc Curry.
« Steve Mc Curry a volé des milliers d’âmes à travers ses extraordinaires portraits venant du bout du monde. Diplômé du College of Arts and Architecture, il travaille deux ans dans un journal. Mais la vie de bureau ne lui convient pas, car il a la bougeotte. Alors, il part au Pakistan où, déguisé en autochtone, il passe clandestinement sur le territoire afghan sur le point d’être envahi par les Russes. Là, il mitraille, rouleaux de pellicules dissimulés dans ses poches cousues. Son reportage composé de clichés rares d’un pays avant ses bouleversements politiques, remporte la médaille d’or de Robert Capa. Aventureux, il couvre au péril de sa vie, la guerre Iran/Irak, le conflit yougoslave, la guerre du Golfe, roule sa bosse à Beyrouth au Cambodge et aux Philippines. Puis, il collabore plusieurs années au National Geographic, où il signe l’un de ses plus plus beaux portraits : celui d’une jeune fille afghane de 17 ans aux yeux d’un vert extraordinaire.
Réfugiées afghanes au Pakistan, 1984 et 2002
Ce cliché fera le tour du monde et deviendra la marque de fabrique de Mc Curry, celui qui absorbe les vies. Du désert yéménite aux montagnes tibétaines, il fige les hommes et leurs rites. D’un rendu chromatique inégalable, il palpe la réalité mieux que personne. » (Evene.fr)
La démarche de l’homme est simple en apparence : « Je guette un regard, une expression ou une nostalgie capables de révéler une vie ». C’est exactement ce qui me touche dans son art. Toute l’humanité souffrante transparaît dans le regard, la moue, le teint et les couleurs naturelles de ses clichés. Comment ne pas se souvenir de ces jeunes réfugiées afghanes au Pakistan qui nous communiquent silencieusement toute leur condition?
Comment, également, ne pas être ému par cette dignité qui rend l’homme plus fort que n’importe quelle situation matérielle et sanitaire? La preuve que l’instinct de conservation de soi est une valeur fondamentale de l’humain.
Père et son fils, Afghanistan, 1980
Attention cependant à ne pas projeter notre pensée culturelle sur celle de peuples qui vivent avec d’autres repères. Je me souviens de cette photo de femmes palestiniennes qui avaient été cadrées lors d’un attentat. Elles tenaient dans les bras un homme, sans doute un fils, qui avait succombé à ses blessures. La position du groupe autour du cadavre évoquait la « Piéta » catholique si souvent présente dans l’art occidental. Sous prétexte de message universel, le sens de la scène avait été détourné. Inadmissible !
Alors, quelles sont les motivations d’un photographe? L’honnêteté intellectuelle de Mc Curry est-elle encore à démontrer? Je ne le sais pas. Mais surtout, c’est de nous mêmes que nous devons nous méfier. Ces portraits ne doivent pas nous amener à la conclusion que ces pauvres êtres seraient mieux chez nous, dans notre belle culture occidentale. Au contraire. C’est en cherchant à comprendre l’autre et en gardant éveillé notre esprit critique que nous pourrons mesurer son bonheur ou son malheur. C’est en ressentant l’injustice profonde qui accable les peuples en guerre et en observant les scènes parfois riantes de la vie quotidienne que la vie prend toute sa valeur.
L’Afghanistan est un pays ravagé de longue date par des combats terribles dont la conséquence directe est la ruine de la nation et le dénuement total de sa population. Voila le contexte de ces scènes de vie qui, même si souvent elles sous-entendent la mort (ruines et conséquences humaines du bombardement), impliquent surtout la vie, sacrée et inestimable.
Kaboul, Afghanistan, 1992
Comme le dit l’artiste, l’art n’a pas la volonté d’interpréter le regard de l’autre, mais de capter « l’inattendu, le moment du hasard maîtrisé, qui permet de découvrir par accident des choses intéressantes que l’on ne cherchait pas ». Il est un choix personnel, émotif et directement inspiré par l’âme de l’artiste. La solution ne réside donc pas dans l’occidentalisation de ces peuples, mais dans la paix retrouvée, la vie préservée et le sain retour de la culture propre à l’individu. Gageons qu’alors, ces visages seront illuminés d’une nouvelle lumière…
elle a vraiment des yeux magnifiques !!